mercredi 29 septembre 2010

Un Enfer Comme un Autre

Lorsque le Vieillard se réveille, il est à terre, adossé à une colonne. Un temple l’entoure, qui abrite d’interminables colonnades, toutes identiques, et qui se prolongent, encore et encore, à perte de vue.
Le Vieillard se lève. Ses jointures craquent un peu, sa démarche est hésitante, mais un pas après l’autre, il se met en route vers la sortie. A droite comme à gauche, devant et derrière, le même décor se répète à l’infini, et chaque pas dévoile un nouveau pilier, identique au précédent. Il cherche une sortie, et marche pendant des heures sans jamais la trouver.
De temps à autre, le Vieillard croise d’autres gens, qui comme lui, errent comme des ombres dans le temple. Certains vont dans d’autres directions, et le croisent sans s’arrêter.
Alors il leur dit :
- Ce n’est pas par là qu’il faut aller.
Mais personne ne fait jamais attention, et le Vieillard a beau leur expliquer, les supplier de l’écouter, les autres haussent les épaules, et sans un mot, reprennent leur route. Ceux qu’il croise ne restent jamais, et finissent inévitablement par disparaître dans l’ombre des colonnades. Quand il reprend la route, il est toujours seul.
Le Vieillard s’écroule enfin, mais ce n’est pas la fatigue qui le terrasse, car il n’a pas faim, ni soif, ni sommeil. C’est la lassitude, et elle seule qui l’oblige à s’arrêter, et à genoux, il cherche le courage de reprendre sa route.
Une ombre l’effleure, c’est une femme en blanc. Elle pose sa main sur son épaule, et, s’approche par derrière, murmurant à son oreille.
- Il est si facile d’arrêter, pourtant...
- Je ne veux pas arrêter, répond le vieillard, je veux sortir d’ici.
Il y a du désespoir dans ces mots.
- Il n’y a pas d’autre sortie, dit la voix.
Lorsqu’il se retourne, elle a disparu. Il sent un poids à sa gauche, une dague en argent est glissée à sa ceinture. Il contemple l’objet avec hésitation, le remet à sa place. Le Vieillard ne veut pas arrêter, il veut simplement sortir d’ici, sans trop savoir pourtant si quelqu’un l’attend dehors, sans même être sûr que dehors existe.
Le vieillard avance. Il se dirige peut-être vers un but, peut-être vers le néant, mais peu lui importe. S’il y a un but, alors il s’en rapproche.

samedi 11 septembre 2010

No Hard Feelings

            Je ne lui ai pas laissé le temps d’être en retard, et quand elle descendit de chez elle, j’étais déjà là, à l’attendre. Un bonjour, une bise gênée, et je l’emmène avec moi en la tirant par la manche. Sans lui laisser le temps de dire un mot.
Nous voilà à la terrasse d’un café. Bien qu’en face l’un de l’autre, nous nous fuyons du regard avec une pudeur adolescente. Les yeux sont le miroir de l’âme, et c’est peut être cela que nous fuyons. Je suis habité par la crainte qu’elle me regarde, qu’elle me comprenne, mais dans le même instant, tout au fond de moi, une voix que j’étouffe tant bien que mal hurle son envie d’ouvrir mes pensées à cette personne, de la laisser lire dans mon cœur ouvert, même pour cela, j’accepte de la laisser le briser à nouveau. Avec le tact d’un trente-trois tonnes et la délicatesse d’un accident de la route.
-         Qu’est-ce que tu deviens ?
J’essaie tant bien que mal de meubler une conversation, et d’ignorer qu’on s’est déjà tout dit… Et que ce que nous n’avons pas dit, ni elle ni moi ne voulons l’entendre.
-         J’ai ma rentrée dans quinze jours, et… voilà, quoi. Toi ?
-         Bah, pareil.
Un nouveau silence, interminable. Pitié, sortez-moi de là.
-         Je ne comprends pas que tu t’obstines à mettre une veste par ce froid.
-         Ma veste et moi, c’est une longue histoire d’amour, je réponds.
Lorsqu’enfin j’ose la regarder dans les yeux, mon regard est impassible. J’essaierais bien de lire son regard, mais elle aussi se défend, et nos regards sont froids et distants, comme barricadés derrière une montagne de détermination.
Je donnerais pourtant cher pour revoir, ne serait-ce qu’un instant, les regards qu’elle m’a adressés dans le passé, mais notre relation semble s’être déroulée dans une autre vie, tant nous sommes devenus deux étrangers.
-         Cigarette ?
C’est vrai, elle fume.
-          Ça ira, merci.
On nous sert enfin nos cafés, servi avec deux sucres et un bâton de cannelle, et je mâchonne le mien en regardant dehors, distraitement, alors que je laisse se libérer les arômes et les épices entre mes dents. Je sens soudainement son regard sur mon visage, et quand je me retourne, je la vois qui me dévisage tout en remuant son café avec sa cannelle.
-         C’est toi qui m’as donné cette habitude.
-         Non, moi je le mange, et toi tu le mâchonnes, ce qui fait qu’à la fin il te reste un bout tout dégueulasse dans ton café.
Un sourire, enfin. Les premières notes d’un morceau de jazz se font entendre derrière moi.
-         Tu viens souvent ici ? me demande-t-elle.
-         De temps en temps. Un peu moins, maintenant…
Je laisse ma phrase en suspens, mais je finis mentalement. « Maintenant que nous ne sommes plus ensemble. » Pourquoi suis-je incapable de parler de notre passé ensemble ? Pourquoi me sens-je obligé de prétendre que le temps passé ensemble n’est qu’une chimère, issue de mon imagination ?
            Je paye les cafés et nous sortons. Devant ce café, les mains dans les poches, les joues rouges, chaque souffle qu’elle exhale forme un petit nuage blanc qui se mêle au mien, qui s’envolent ensemble pendant un instant, puis qui disparaît dans les airs.
-         Bon, ben… à plus, dit-elle.

A plus ? Pour quoi faire ? Cette rencontre, je le sais, elle le sait, c’est la fin d’une histoire comme les autres, alors pourquoi agir comme si nous avions d’autres choses à nous dire ?
-         A plus.

Quel idiot.

Pour ***** (Elle se reconnaîtra). No hard feelings.
PS : Ne me traite pas de mythomane, je reconnais en avoir inventé une bonne partie, mais l’esprit est là.

PPS : J’étais parti sur un truc vachement plus rigolo, avec une histoire et tout, mais ça sonnait bien comme ça. Et puis j’avais envie d’écrire un texte sans histoire, juste pour voir.

vendredi 3 septembre 2010

The Last Stand

Une ombre passe devant la fenêtre, le sol grince -imperceptiblement. Les sens en alerte, mon cœur bat la chamade, et j’écoute les bruits de la nuit. En bas des escaliers, j’entends un grincement. C’est eux. Tous les soirs, je les entends qui me traquent, qui me cherchent. Je suis un homme traqué. A la tombée du jour, je ferme les volets, je me barricade, mais cela ne suffit jamais, ils semblent toujours trouver un moyen d’entrer, et pas une nuit ne passe sans que je les entende, en bas, qui me cherchent. Je n’ose pas bouger, de peur de dévoiler ma position. Prostré dans ma chambre, j’attends l’instant fatidique, plongé dans l’obscurité la plus totale.
Un bruit retentit, comme quelqu’un qui tape un coup sec contre le mur. Ces monstres prennent un plaisir pervers à manquer de discrétion. C’est peut être un signal, alors je tâtonne près de mon lit, et tire de dessous une batte en acier que je garde pour les cas d’urgence. Par un étrange hasard, la maison est redevenue silencieuse. Mais ce n’est qu’un leurre, je sais bien ce qu’ils veulent, je sais bien qu’ils espèrent que je me retourne tranquillement dans mon lit, et m’endorme comme si de rien n’était.
Le vent soulève les rideaux de ma fenêtre, et je vois, distinctement, deux yeux lumineux qui me surveillent, et qui brillent dans la nuit. Mon cœur bondit sur place, je brandis mon arme mais l’instant d’après, les yeux ont disparu. La porte de ma chambre s’ouvre doucement, et je cède –enfin- à la panique. Comment m’ont-ils trouvé aussi vite ? Ils sont là, ils me cherchent, mais dans le noir, je ne peux rien.
Mon arme toujours à la main, je roule sur le sol, et en me relevant, j’assène un coup à une forme devant moi. Quelque chose tombe sur le sol dans un bruit étouffé, ne pas penser, ne pas réfléchir. Je l’enjambe en essayant de ne pas me demander ce que j’ai tué.
Dans cette obscurité complète, l’interrupteur est mon seul espoir. Les ombres se rapprochent, et, alors que je cours vers le bout de la pièce, je sens derrière moi les griffes de la nuit prêtes à m’engloutir, alors je jette en avant, et ma main touche un boitier en plastique. Avec un désespoir de forcené, J’appuie de toutes mes forces sur l’interrupteur, et je me retourne, prêt à en découdre.
La lumière inonde enfin la pièce, et me rappelle à la lumineuse réalité : je suis seul. La pièce est vide, vide de toute menace, de toute ombre, de toute forme indistincte dans la nuit. Je soupire de soulagement, et c’est rasséréné que je vais me chercher un verre d’eau pour célébrer ma victoire Mon cœur reprend un rythme normal, tout va bien. Les bruits de la maison me paraissent maintenant tout à fait normaux. Le réfrigérateur émet un ronronnement tranquille. Les grincements, craquements et mouvement des ombres ont cessé tout à fait maintenant.
J’éteins la lumière, désaltéré, victorieux, détendu.

Le sol grince à nouveau.
Et merde.