mardi 27 juillet 2010

Midi Quinze

       Une pièce, que la lumière du jour éclaire d'une clarté reposante.
      L'horloge indique midi dix, et je vais bientôt mourir. Nous avions l'habitude d'assassiner nos condamnés à l'aube. les vieilles traditions se perdent. Peu m'importe. La porte s'ouvre, un homme entre. Lui, je le connais. J'ai tué sa famille sous ses yeux, de mes mains. Il avait une femme, deux enfants, peut être plus.
      Je ne sais plus.
       Il me regarde, maintenant. Il a le regard sans haine de ces hommes qui n'ont plus rien. Un regard vide, sans vie.
      - Vous avez l'air aussi mort que moi.
      L'homme me regarde. Il ne sait peut être pas quoi dire. Il ouvre la bouche pour parler, hésite, la referme, ne dit rien. Il est midi onze maintenant. Puis il dit :
      - C'est vous qui m'avez tué.
      - Je sais.
      Il tient un revolver dans sa main. Je me souviens. Il y a deux ans, pendant une prise d'otage, dans un car de touristes qui venaient d'Abidjan. Je l'avais choisi car il y aurait des femmes et des enfants étrangers. Des innocents que personne ne voulait voir mourir.
       Pourquoi avais-je fait ça ?
      Pour l'argent, probablement. Ou pour survivre. La police étrangère me recherchait déjà, à l'époque, mais ils ne faisaient pas la loi dans nos villages. La loi, c'était moi. J'étais le chef de guerre, j'étais craint. Je commandais, de la pointe d'un revolver.
      Un modèle comme celui de l'homme qui me tuerait.
      Je me souviens surtout de son fils, le plus jeune. Je l'ai tué dans le car. Il était jeune, il ne comprenait pas, il se débattait. Alors je l'ai tué. Son père n'a rien dit, il s'est juste penché, et a fermé les yeux de son fils. Il ne pleurait même pas.
       L'homme me détache. Il sait que je ne fuirai pas, je n'ai nulle part où aller.
      Il est midi douze, maintenant. Et je vais bientôt mourir.
      J'ai probablement assassiné le reste de sa famille aussi. J'avais promis de tuer un otage tous les jours jusqu'à ce que je reçoive la rançon. Combien avais-je demandé ? Je ne sais plus.
      La rançon n'est pas venue. Alors j'en ai tué un, au hasard, dans la foule. Le lendemain, un autre est mort. Pendant un mois, je tuais un homme tous les jours. Avant le petit-déjeuner, comme on prend un médicament.
       L'homme est adossé contre la porte. Il ne veut toujours rien dire. L'horloge indique midi treize.
      Un jour, il n'est resté personne d'autre que lui. Alors je l'ai pris avec moi, je l'ai attaché, et je suis parti. Je me suis enfui, et l'homme est parti avec moi, comme monnaie d'échange. Je me suis caché avec lui pendant un mois, puis je l'ai abandonné. Il ne servait à rien. Personne n'aurait payé pour lui.
      - On m'a laissé le droit de vous tuer. Compte tenu des circonstances, ont-ils dit. Mais ils ne me font pas confiance.
      Je le regarde sans comprendre. Il précise:
      - Il n'y a qu'une seule balle dans le revolver.
      Je regarde l'horloge. Il est midi quatorze. J'ai envie de parler.
      
      - Vous ne pourrez pas me tuer, pour la même raison que je n'ai pas pu vous tuer. Je suis déjà mort. Tout comme vous.
      - Il ne me reste qu'à finir le travail, alors.
      Il pointe l'arme sur moi.
      
      Il est midi quinze, et je suis déjà mort.

jeudi 22 juillet 2010

Le jeune maître et le vieux maître

Un jour, au sommet d’une montagne, l’élève dit a son maître :
-          Je veux être riche.
Le vieux maître ne fit rien pour l’en dissuader, et dit simplement :
-          Il te faudra travailler dur pour bien gagner ta vie.
Alors l’élève travailla. Il apprit beaucoup, et des années plus tard, dépassa son vieux professeur, et maître a son tour. Mais il remontait de temps à autre dans la montagne pour retrouver le vieil homme, et ce dernier lui demanda un jour :
-          Tu as maintenant acquis savoir et argent, tu es assurément très riche.
-          Non, cela n’est pas la vraie richesse, je ne suis pas encore riche.
Le jeune maître voulut gagner la considération de ses pairs. Avec l’argent qu’il possédait, il ouvrit une manufacture pour que les plus pauvres aient du travail, il organisa des grandes fêtes pour ses amis, il ouvrit son immense jardin pour que tous puissent s’y promener. Tout le village l’aimait beaucoup, et il fut élu maire sans même l’avoir demandé.
Toutefois, lorsqu’il parlait avec son vieux maître, il doutait de sa réussite.
-          J’ai gagne le respect et la considération de mes pairs, et ils m’ont récompense pour mes efforts. Mais je ne crois toujours pas être riche.
Le jeune maître courtisa donc la plus belle femme du village. Celle-ci tomba bien vite amoureuse de lui, et ils vécurent heureux pendant de longues années… Mais lorsqu’il revenait dans la montagne, le jeune maître doutait encore de lui.
           
Un jour la mousson s’abattit sur sa maison, détruisant son toit et ruinant son jardin. La manufacture aussi avait été emportée par les eaux, il était ruine. Sa femme le quitta, car il n’avait plus rien à lui offrir.
Le jeune maître se rendit chez amis pour la nuit, mais fut chassé comme un mendiant, et courant dans la boue et la pluie, il se rendit chez son vieux maître, qui lui offrit un bol de riz et une natte pour dormir.
Considérant ces trésors, il remercia chaleureusement son maitre.
-          Ca y est, dit-il alors. Je suis riche.
-          Non, dit le vieux maitre, tu n’es pas riche. Mais tu es sage.

mercredi 21 juillet 2010

Une Histoire d'Amour

Je suis seul, accoudé au zinc du bar d'un hôtel luxueux. La personne qui m'accompagne m'a déjà fait faux bond. Nous ne sommes pas ici depuis une heure, que la voilà déjà en train de susurrer des compliments à l'oreille d'une créature de rêve. Voilà qui me laisse seul pour me lamenter dans ma bière. J'aurais mieux fait de rester chez moi, comme toujours. 
Adossé au comptoir, je me prends à envier les couples qui passent devant moi. Tous ont l'air heureux, et ceux qui ne le sont pas semblent passablement éméchés. Ce qui est mieux que rien. Mes doigts torturent distraitement le sous-verre, tandis que mon regard erre de groupe en groupe. Près de l'entrée, deux jeunes, un vingtaine d'années se tiennent par la taille. Pour eux, la soirée ne fait que commencer. L'un deux est un genre de golden-boy au look de jeune cadre dynamique. Son costard est fait sur mesure, sa chemise immaculée est ouverte jusqu'au nombril, une petite chaîne en or. Sa compagne du moment est une grande blonde, sa couleur de cheveux est aussi fausse que le sac qu'elle porte à son bras. Elle passe son temps à faire semblant de trébucher, ridicule prétexte pour pouvoir s'accrocher à son bras.
Je soupire. Je rentrerais bien chez moi, mais qu'y faire? Alors je me retourne vers le bar, et je commande un nouveau verre, que je paye distraitement. 
Ne penser à rien. De toutes façons, je sais bien comment cette nuit se finira. Cecillia reviendra vers moi, passablement éméchée, peut-être avec sa conquête de la soirée, et me demandera de la raccompagner chez elle. Ce que je ferai de bonne grâce. Cecillia l'italienne, ma meilleure amie. 
A ma droite, un mouvement. Quelqu'un s'assoit au bar, sur le tabouret juste à ma droite. Je bois mon verre lentement, le regard perdu dans les volutes que font l'eau des glaçons se mêlant à la vodka. Cette vision a quelque chose d'hypnotique, je passerais bien la soirée, perdu quelque part entre mes pensées et la liqueur cristalline qui s'écoule dans ma gorge. L'alcool me fait frissonner,  alors que je réajuste ma position sur mon siège, une douleur se rappelle à mon bon souvenir. Une côte cassée.
Soudain, les volutes dans mon verre semblent prendre forme, et je vois un visage connu apparaître dans les circonvolutions. Ricanant avec un sourire cruel.
Aïe.

La pointe du pied de l'homme vient cogner mon estomac. Un deuxième vient percuter ma mâchoire. Je gémis de douleur, je me retourne, dans l'espoir que mes assaillants se lasseront de me faire souffrir. Je crache, à même le béton, ma salive mêlée à du sang. Et une dent. Peine perdue. L'un d'entre eux me retourne sur le dos, saisit mon col, visqueux de morve, de salive et de sang. Il approche son visage de moi, et me regarde avec un sourire sadique. Il a d'immenses yeux bleus, le crâne rasé. Pas de tatouage, pas de piercing. Un look impeccablement soigné.
- Ça te plaît, pervers?
Je ne réponds pas. Pas par courage, non, simplement par ce que cela ne sert à rien. Quoi que je dise, ils me frapperont. Alors je me tais.
Peine perdue, un nouveau coup de talon percute mon thorax. Plus question de me retenir, je hurle maintenant de douleur.
- Ta gueule! Je t'ai dit de la fermer!
Un nouveau coup semble m'exploser le foie, suivi par un autre. Ma vue se brouille. 


Je frissonne rien qu'en repensant à ces souvenirs. Je finis mon verre, cul-sec, puis décide de sortir fumer une cigarette. Mon sac est au pied de mon tabouret, mais la sangle est prise dans le siège à côté. Je tire un coup dessus, avant de me rendre compte que le poids de quelqu'un empêche la sangle de se dégager. Je lève la tête, pour demander à mon voisin de soulever son tabouret.

Nos regards se croisent, et en cet instant, ma vie change. J'ai l'impression de faire une chute de dix mètres. La tête légèrement penchée sur le côté, ses yeux gris me regardent sans antipathie, un léger sourire étire ses lèvres.
Je me sens fondre.
J'en oublie pourquoi je suis accroupi au sol.
J'attrape mon sac, et mon voisin me tend la main, m'aide à me relever. Nous nous regardons, l'un en face de l'autre, sans un mot, pendant d'interminables secondes. Je suis incapable de dire un mot, de faire un geste. La main crispée sur mon sac, je reste silencieux, et quand je me rends enfin compte du ridicule de la situation, je me détourne sans un mot et sors de la salle.

A l'extérieur, la nuit est tombée depuis longtemps. Les voitures passent à toute vitesse dans la rue, face à moi, laissant des traces de lumière rouge et noire dans cette nuit noire. J'allume une cigarette. La lueur de la braise est à peine visible, et mon visage est éclairé pendant une brève fraction de seconde quand j'aspire la fumée. Je souffle, et devant moi une nouvelle forme se dessine dans les courbes blanches qui s'élèvent de ma main.


Pitié...
Allongé sur le sol, à demi inconscient, c'est le seul mot que je suis en mesure d'articuler. Pourtant mes assaillants ne me frappent plus. Ils sont hors de ma vue, je ne sais pas ce qui se passe. Je n'ai même pas la force de bouger la tête. J'entends des exclamations, des clameurs. On se bat derrière moi.
J'entends mon agresseur hurler:
- Je t'aurai, salopard! Je te jure, Je t'aurai, et si je ne suis pas là, mes frères s'en occuperont!
Il s'interrompt dans un cri de douleur. Je tente de me retourner pour comprendre ce qui se passe, mais en vain. Une silhouette floue se dessine dans la lumière.
Pitié...
- Courage mon gars, c'est presque fini maintenant. Tiens bon. On va te sortir de là.
La silhouette se penche vers moi, saisit ma tête ensanglantée dans ses mains, et approche son visage, tout près. J'arrive à sentir son parfum, ses cheveux caressent ma joue, ses boucles d'oreilles reflètent la lumière du jour.
Derrière moi, j'entends un nouveau cri. Ma sauveuse jette un coup d'œil derrière moi, le regard parfaitement neutre. Je tente de bouger, mais la femme me retient, plus fermement cette fois. Dans mon dos, les clameurs d'un combat continuent. Je ne vois rien, mais je devine ce qui se passe. Elle me dit doucement, en me regardant droit dans les yeux, afin de m'empêcher de bouger:
- Je m'appelle Cecillia. Avec deux L.
Au loin, une sirène d'ambulance retentit.

- Ça va?
J'émerge de ma contemplation. Je me rends compte que je suis prostré, assis contre le mur, à même le sol du trottoir, les yeux embués de larmes. Je relève la tête. C'est mon voisin de tout à l'heure. Je tente un sourire peu convaincu, qui se transforme vite en grimace alors que je me relève. Il me tend, une fois de plus, une main amicale, et je me relève.
- Tu faisais une sale tête en sortant, je me suis inquiété. Non, merci, je ne fume pas, ajoute-t-il en refusant la cigarette que je lui propose. A propos, précise-t-il, je m'appelle Rémi.
- Thomas.

La conversation s'engage. Je finis ma cigarette, le cœur léger, et nous rentrons tranquillement. Assis sur un canapé, nous buvons, discutons gaiement. Comme de vieux amis. Il y a des gens que l'on a l'impression de connaître depuis toujours, Rémi est du nombre. A une autre table, quelqu'un me fait signe. Cecillia. Elle me regarde avec un immense sourire, et semble immensément contente que je passe une bonne soirée.
Car je passe une bonne soirée, la meilleure de ma vie. Avec lui, je me sens invincible, inaccessible. Je tourne ma tête vers celle de Rémi, qui plonge ses yeux dans les miens. J'approche mes lèvres doucement...

Il détourne la tête.
- Pas tout de suite. Pardonne-moi, je suis un peu vieux jeu.
- Excuse-moi, je n'aurais pas dû.
Un silence un peu gêné s'installe. Nous ne disons rien. Puis, contre toute attente, Rémi éclate de rire.
- Si tu voyais ton air de chien battu! C'est pas grave, je te dis.
Je souris, à moitié rassuré. Pour donner le change, je propose d'aller chercher un verre.
Au bar, je prends deux bières, je me retourne en direction de Rémi en attendant que le barman les ouvre. Il est au téléphone, il me regarde avec un grand sourire, tandis que je reviens dans sa direction. Il prend une bière, nous trinquons, les yeux dans les yeux.

- Pas de problème, je vais lui demander tout de suite. Je dois te laisser maintenant, on se voit peut-être tout à l'heure. 
Il prend une gorgée de bière, essuyant d'un geste délicat de ses doigts l'humidité qui s'est déposée sur ses lèvres.

- Un ami à moi fait une petite soirée, ça te tente qu'on y passe tout à l'heure? 
Je suis d'accord, bien entendu. Nous emportons nos bières, tandis que je m'écarte pour payer au comptoir. Resté seul, Rémi sort son téléphone. Je suis au bar, le bruit des conversations m'empêche d'entendre sa conversation.

- Allô, Anders? C'est Rémi. Je le tiens, je vous l'amène tout à l'heure. Non, il ne se doute de rien. Prépare les lieux en m'attendant. 

Je me retourne. Nous sommes prêts à partir, maintenant. Il me regarde de ce sourire qui me fait fondre, mon cœur se soulève, je me sens léger. Léger et, pour la première fois depuis longtemps, je suis heureux.

Un texte qui m'a été demandé pour la Journée Mondiale contre l'Homophobie et d'abord publiée sur ma page Deviantart.

lundi 19 juillet 2010

Sois Fort, Petit Frère

« Ecoute-moi bien.
            Tu n’as pas beaucoup de temps. Dans quelques heures, il va se passer quelque chose de terrible. Quelque chose de terrible ? Quoi ?
-          Je… Je ne sais pas exactement. Mais le monde que tu connais sera réduit en cendres. Retrouve tes amis. Maintenant. Reste avec des gens en qui tu as pleinement confiance. Tu n’as pas le temps de douter, pas le temps d’hésiter. Tiens-toi prêt, petit frère.

Un long silence s’installe. Je doute de la réalité de la voix que j’entends aujourd’hui, pour la première fois depuis des années.

-          Je t’aime, gamin. Prends soin de toi.
-          Attends !
Je hurle dans le combiné pour l’empêcher de raccrocher.
-          Et toi ? Tu seras où ?
-          Je n’en sais rien. Sois fort, frérot. »

Il raccrocha. La lueur orangée du soleil couchant illuminait mes yeux embués de larmes. J’osais à peine à y croire. Après cette dispute avec mes parents, mon frère a quitté la maison, il y a des années. Puis il s’est fait passer pour mort, dans un simulacre d’accident de voiture, cachant son existence aux yeux de toute sa famille, de tous ses amis, à l’exception d’une personne, moi.
Il m’a fallu assister à l’enterrement de mon frère, tout en sachant que le corps défiguré dans le cercueil n’était pas le sien. Un secret lourd à porter pour un enfant de dix ans, et jusqu’à ce jour, je n’avais eu aucune nouvelle. Au point de le croire mort pour de bon.

Sois fort, frérot. Cette phrase ne pouvait venir que de lui. Comment ai-je pu honorer une telle promesse ? J’étais si bouleversé que pleurer à l’enterrement ne m’avait pas été très difficile. Et puis, pendant neuf ans, ce secret était resté enfoui au fond de mon âme. S’il réapparaissait dans ma vie, en ce moment, c’était pour une bonne raison. Sans une seconde d’hésitation, je m’emparai du téléphone, et composai le numéro d’un de mes amis de faculté.
-          François, bordel, il faut qu’on parle, réponds !
L’écran affichait sobrement : Hors couverture réseau. Où était-il ?

J’avais dix ans.
-          Félix, il fa falloir être fort. Je vais partir, très loin d’ici, et tu ne me reverras plus.
-          Tu vas où ?
-          Très loin. En Atlantide. Mais c’est un secret.
Ma première pensée à cette annonce tragique fut la perspective terrifiante que désormais je devrais jouer à Mario Kart tout seul.
-          Écoute-moi bien. Dans quelques jours, Papa et Maman vont t’annoncer quelque chose de très triste. Ils vont te dire que je suis mort.
-          Pourquoi ?
-          Je ne peux pas t’expliquer. Mais je veux que tu saches que même si tu me vois mort, ça ne sera pas moi, tu comprends ?
-          Ça sera qui ?
-          Quelqu’un d’autre. Pendant ce temps-là, Félix, je serai en train de partir très loin. Mais il faudra garder le secret. Il faudra faire semblant d’être triste. Tu me promets ?
-          Promis.
-          Un jour, un monsieur viendra te poser des questions sur moi. Même si il est très méchant, il faudra leur dire que tu ne sais pas, que je suis mort. C’est promis ?
Il s’était levé, me regardant de toute sa hauteur, comme il le faisait toujours pour me faire peur. Et ce soir-là, il était vraiment terrifiant.
-          Félix, où est ton frère ?
Mais j’avais compris.
-          Il est mort, dis-je.
Mon frère m’asséna une gifle monumentale. Je roulai au sol, une larme perlant au coin de mon œil.
-          Ne me mens pas ! Où est Jérôme ?
-          Je ne sais pas ! Il est mort !
Jérôme me serra dans ses bras.
-          Je suis fier de toi, frangin. Je vais partir, maintenant, mais avant, je vais te confier un autre secret. C’est un mot. Si tu entends ce mot, et que ça a l’air grave, promets-moi de fuir. Tu fuis très loin, très vite.
-          Où ça ?
-          Chez quelqu’un. Un copain, une copine. Et surtout, sans en parler à Papa et Maman. Sois fort, frérot.
Je le regardai sans comprendre. Il me confia le mot, tout doucement, dans le creux de l’oreille.
- Delta.


 Le texte est un spinoff d'un livre de Silver, l'Empire des Cieux. Ne soyez pas vexes si vous ne comprenez pas.
Speciale dedicace a Silver, Francois et Bruno.

samedi 17 juillet 2010

Une Histoire Vraie

       Le téléphone ne tarda pas à sonner. Un passant, probablement imbibé de whisky frelaté, avait voulu profiter d'une ruelle pour calmer sa vessie, et avait trouvé le corps, et avait titubé jusqu'au dernier bar ouvert où il avait prévenu la police.       Je me rendis sur les lieux sans trop me presser. Je garai la voiture, et m'approchai de la scène du drame en pestant contre l'eau du caniveau qui s'infiltrait dans mes bottes. Il y avait bien un mort dans la rue, gisant sur le dos, les bras écartés, ruisselant d'eau de pluie. La personne qui avait appelé était partie, mais à vrai dire je m'en moquais bien. Pas de papiers dans les poches du cadavre, rien qui permette de l'identifier.
      
      
       On était vendredi soir, et la plupart des ouvriers qui venaient boire dans ce quartier paumé avaient vidé les lieux depuis des heures. Les bars fermaient l'un après l'autre, le temps de ranger les chaises et de fumer une dernière cigarette.
      Seule la lumière blanche des lampadaires et celle, rouge et bleue, des avertisseurs lumineux de mon véhicule, se reflétaient sur les murs trempés.
      M'étant assuré que personne ne rôdait, je résolus d'attendre la venue du médecin légiste dans la voiture. Le cadavre n'allait pas s'envoler. De la vitre de ma portière, je guettais l'arrivée de celui qui me permettrait enfin d'aller me coucher. Je ne vis qu'une fenêtre allumée et ouverte en dépit des torrents de pluie qui se déversaient à l'intérieur. Sur les rideaux trempés, se dessinait une grosse silhouette noire, comme une ombre chinoise, qui se dandinait sur un siège. Ouvrant la fenêtre, je distinguai le son d'un piano, quelques notes rythmées, le bruit étouffé d'une trompette en sourdine. Certains ne dorment donc jamais ? Je laissai la vitre entrouverte afin de profiter de cet accompagnement inattendu, et je me sentis m'endormir doucement.
      - Bonsoir, Sergent.
      Je sursautai. A l'extérieur de la voiture se tenait le médecin, en pyjama sous son imperméable gris, à peine à l'abri des intempéries sous son chapeau.
      - Montrez-moi où il est, qu'on en finisse, dit-il.
      Peinant à reprendre mes esprits, je désignai la ruelle.
      - J'arrive.
      Le médecin partit en râlant. Lorsque je fus un peu mieux éveillé, je rejoins l'homme qui s'affairait sous la pluie. Il prit son pouls, vérifia ses yeux, lui fit un test d'alcoolémie. Il saisit enfin sa sacoche de médecin, et retourna se mettre à l'abri sans la voiture. Depuis le siège du conducteur, il gribouilla trois mots sur un morceau de papier qu'il me tendit. Incapable de déchiffrer l'écriture, j'osai lui demander la cause de la mort.
      - C'est pourtant évident, non ? Même vous, vous pourriez le deviner. cracha-t-il. Attaque cardiaque. Je vais me coucher maintenant, bonne nuit à vous.
      Et sans attendre de réponse, il sortit de la voiture.
      
      Je restais seul, ma nuit à moi n'était pas terminée. Un sac à viande dans mon coffre me permettrait d'amener le corps à la morgue. Si personne ne déclarait de disparition d'ici une semaine, le corps serait enterré sous une petite croix nommée « John Doe » et l'histoire en resterait là.
    
      J'étendis le sac sur le sol afin de faire rouler le mort, dévoilant alors six entailles, faites au couteau, qui lacérait le dos de la victime. Puis je refermai les boutons qui fermaient le sac, et soulevai le corps sur mes épaules, éprouvant une vague compassion. La cause du décès était évidente en effet. Mais personne n'en saurait jamais rien.

***

C'est une histoire presque vraie, inspiré d'un fait divers qui s'est passé, si mes estimations sont bonnes, dans les années 30.
J'ai essayé (sans grand succès malheureusement) de recréer un ressenti mêlant la prohibition, l'aspect "film noir", le jazz et l'Amérique de cette époque.

J'ai fait un clin d'oeil à mon jazzman préféré, j'ai nommé Fats Waller, dont voici un extrait: [link]

jeudi 15 juillet 2010

Un truc de Guerre

Je m'appelle Jonathan, j'ai dix-neuf ans, vingt dans quelques jours. Là d'où je viens, je n'ai pas le droit de boire une bière, par contre, j'ai le droit de mourir pour ma patrie.
Aujourd'hui me voilà dans cet hélicoptère, un fusil à la main. Comment suis-je arrivé ici? Le sol défile sous mes pieds, un officier dont j'ai déjà oublié le nom nous débite en continu des informations sur l'importance de notre mission.
Je ne me leurre pas. On n'envoie pas un bleu comme moi dans une mission importante.
Le danger, en revanche, est bien réel, et, alors que l'hélicoptère passe en vol stationnaire au milieu d'une place déserte, je sens mes mains trembler d'appréhension. C'est la première fois que je quitte mon pays, et je suis éperdu d'admiration devant le spectacle de la ville couleur sable qui s'étend devant moi. A l'approche du sol, la réalité se rappelle à ma contemplation. Des voitures ont brûlé, le marché, à quelques rues de moi, dont les tentures de toutes les couleurs m'ont tant séduit, est déserté de sa population.
Quelqu'un pose sa main sur mon épaule, quelqu'un aurait-il de la compassion pour moi?
Non. On me montre un long câble noir que je descends en rappel, et en quelques secondes, je suis de retour sur la terre ferme.
Autour de moi, au loin, résonnent les bruits du combat: rafales de mitraillettes, explosions et clameurs de bataille retentissent dans toute la ville. Je ne me souviens pas précisément de mon briefing de mission. Ce dont je me souviens, très bien, en revanche, sont ces paroles.
« Votre mission est simple. Nettoyez la zone. Vous voyez un ennemi, vous tirez, vous le tuez. »
Difficile de faire plus simple en effet.

J'épaule mon fusil, et j'avance lentement dans la ville déserte. Mes sens sont en éveil, et je suis attentif à tout bruit, tout mouvement. Mais ici, iln'y a rien, rien d'autre que le sifflement du vent dans les câbles électriques qui me surplombent, rien d'autre que les tourbillons du sable soulevé par le vent.
Rien d'autre que le silence immobile, entrecoupé de temps en temps par la mort.
Alors nous avançons, tous les cinq, en formation, attentifs, tous ensemble.

Un mouvement devant moi. Par réflexe, je tire, sans regarder. Je l'ai raté. Tant mieux, ça aurait pu être un allié.
Une balle claque près de moi, tout près. Ce n'était pas un allié. Je me jette à couvert, derrière un muret, et nous tenons prêts à nous battre, de part et d'autre de la petite rue. Des tirs se font entendre, d'abord de l'autre côté de la rue, puis du mien. Je pointe mon arme, tremblant et transpirant, et je tire, sans viser. Aucune de mes balles ne touche son but.
À ma gauche, un homme tombe en hurlant, foudroyé par une rafale. Il gémit de douleur en se convulsionnant sur le sol. En face un nouveau tir vient l'achever. Il ne bouge plus.

J'épaule mon arme, et je passe ma tête par dessus le muret, prêt, cette fois, à tirer pour tuer. Un homme se profile dans mon viseur.
Je suis fasciné par la quantité et la précision des informations qu'en cet instant je parviens à relever. Un homme à la peau basanée, pas très grand, aux cheveux courts, une cicatrice sur le front. Il est très jeune, dix-sept ou dix-huit ans, pas plus. Il porte un t-shirt blanc maculé de taches de poussière et de cambouis, déchiré en plusieurs endroits. Il est armé -évidemment-, mais il n'aura pas le temps de viser. Je n'ai qu'un geste à faire, si infime pour moi... Un simple muscle, et en face de moi, une vie entière sera anéantie.
Nos regards se croisent. Dans ses yeux, je lis la peur.
Que lit-il dans mon regard à moi?

Je ne tire pas. Non, je baisse mon arme et me remets à couvert. Autour de moi, personne n'a rien vu. Mes équipiers tirent sans hésitation, eux. Ils savent que quand la démocratie et la liberté sont en jeu, le doute est un luxe que nul ne peut se permettre.
J'aimerais tant avoir cette assurance stupide et bornée.

Tout près de moi, mon équipier tire sans hésitation. Puis l'officier nous désigne tous les deux.
« On va les prendre à revers, restez là et couvrez-nous. »

J'acquiesce, puis je regarde les deux hommes s'éloigner. Nous ne sommes plus que deux. Combien d'adversaires nous font face? Trois, peut être quatre. À côté de moi, mon voisin finit de recharger son arme, une mitrailleuse lourde. Il se lève, et avec un rire sauvage, arrose la rue d'une pluie de balles pendant près de dix secondes.
Une balle de précision se loge dans sa tête, et fait exploser son crâne. Le reste de son corps vole à plusieurs mètres en arrière. Je suis maintenant seul, éreinté, couvert de sang... et mort de trouille. Adossé au muret, seul garant de ma survie, je serre contre moi mon arme. Je n'en peux plus, je suis fatigué et angoissé. Je veux être chez moi.
Je n'ai aucune chance de m'en tirer, seul face à trois personnes, mais en même temps, je ne veux pas mourir. Il ne me reste qu'une chose à faire : Prendre ses jambes à son cou.
Je bondis et, et je fuis, comme si les chiens de l'enfer étaient sur mes pas. Une balle siffle derrière mon oreille. Encore quelques mètres et je serai hors de portée. Le souffle vient à me manquer, mes poumons sont en feu. Chaque pas ébranle mon corps entier, et résonne jusque dans mon crâne, chaque battement de mon cœur semble sur le point de faire exploser mon crâne, me rappelant, à chaque seconde qui s'écoule, que je suis encore vivant.
Un nouveau sifflement, un peu plus près. Il faudrait, pour bien faire, que je courre en zigzag, mais j'ai trop hâte d'être loin pour faire des détours. Je n'ose pas non plus regarder derrière moi. Alors je cours de toutes mes forces, un pas, un autre, encore un. Je suis presque hors de-
Une balle se plante entre mes omoplates. Elle a probablement été tirée de loin,  car mon gilet pare-balles suffit à m'en protéger. Le choc me projette en avant, mais je ne tombe pas, non, je continue à courir, sans perdre un instant, trop heureux d'être vivant.
La seconde balle qui me touche quelques instants plus tard, est moins clémente. Je suis touché au mollet. Je trébuche sur le sol poussiéreux.
Ne pas penser à la douleur qui me lancine la jambe, ne pas penser que je suis maintenant une cible facile, que je peux être abattu à tout instant. Continuer à avancer, courir presque, le bout de la rue n'est plus loin. Des larmes de douleur coulent sur mes joues.
Enfin, je dépasse l'angle, je suis à l'abri. Plus personne pour me tirer dessus, je suis vivant. Je cours encore pendant quelques minutes pour être sûr de semer mes poursuivants. Rester dans la rue est trop dangereux, j'y serais vulnérable. Non, je passe une porte, la première que je trouve ouverte.

Je suis dans une salle de classe. Sur le tableau noir, des mots écrits à la craie, auxquels je ne comprends rien. Je m'effondre sur la première chaise que je trouve, et j'examine ma plaie. La balle s'est logée dans le mollet, mais n'est pas ressortie. J'appuie doucement sur mon tibia. Pas de douleur, la balle n'a donc pas atteint l'os. En revanche, pas moyen d'extraire la balle. Je n'ai ni médicaments, ni premiers secours, pas même un désinfectant.
Alors j'attends. Je ne sais pas bien ce que j'attends, puisque aucun secours ne sait que je suis ici. J'espère qu'on me retrouvera, mais rien n'est moins sûr. Tout ce que je sais, c'est que pour l'heure, je suis vivant.

Je déchire un morceau de T-Shirt avec mon couteau. Je n'ai rien de mieux. Je voudrais en faire un bandage, mais le tissu est trop court, Il est à peine assez long pour faire le tour de mon mollet. Finalement, j'éponge le sang qui coule de ma jambe, et compresse la plaie de la paume de ma main. Je n'ai rien de mieux à faire.
Et j'attends. Les heures passent, interminables. Je sombre lentement dans le sommeil, parenthèse de paix dans cette journée atroce. La nuit tombe, le froid commence à se faire sentir.

Dehors, un bruit attire mon attention. La porte s'ouvre lentement, et un homme en passe le pas. Il tient une AK-47 dans les mains qu'il pointe sur moi en tremblant.
Je dévisage cet homme qui me fait face, mais je n'arrive pas à distinguer ses traits. Après un effort immense, je le reconnais. C'est l'homme que je n'ai pas pu tuer tout à l'heure. Nos regards se croisent. Je suis blessé et désarmé, il me tuera sans difficulté.
Je tente de me lever, mais mes bras et mes jambes ne m'obéissent plus. Comment une blessure à la cuisse peut-elle m'empêcher de bouger mes bras ou ma jambe valide? Je suis cloué au sol, ma vue elle même est trouble, et il me semble voir la scène d'un autre point de vue, comme si je n'étais pas cet homme engourdi et incapable de faire un geste.
J'ai terriblement peur de mourir, mais savoir que je serai exécuté par ce jeune homme a quelque chose de réconfortant. Je n'aurais pas aimé mourir de la main d'un inconnu. Il ne baisse pas sa garde, mais me vise sans plus bouger. Me regarde-t-il au moins? Je n'en sais rien, je n'arrive pas à voir dans ses yeux.
Il dit quelques mots, que je ne comprends pas. Quelques mots qui pourraient aussi bien marquer ma condamnation a mort que ma survie. Un silence tendu s'installe. Il me pointe toujours de son arme, il n'a guère qu'un geste à faire pour me tuer.

Il me regarde, regarde ma jambe, étendue sur une chaise. Puis, très lentement; il range son couteau dans sa poche.
Couteau? Il avait une mitraillette quelques secondes plus tôt.
Semblant enfin se décider, il fouille dans une besace pendue à son épaule, en sort quelques objets, qu'il me lance, avant de repasser par la porte et prendre la fuite.

Le silence de la nuit revient, entrecoupé par les clameurs lointaines du combat. A mes pieds, des pansements, un briquet et un paquet de cigarettes. Je tente de saisir les objets, mais j'en suis toujours incapable. Ma vue se trouble à nouveau, puis je retombe dans les ténèbres.
Bon, un nouvel exercice de style.
Cette fois, la contrainte était de mettre une scène d'action, un type de texte avec lequel je suis inconfortable au possible.

Le reste, je le dois à Lévinas, un philosophe que j'apprée beaucoup. Sa théorie est que "Le visage est ce qui nous interdit de tuer", et cette citation est une thématique essentielle au texte.

J'ai bien conscience de la prévisibilité du texte, on sait tous ce qui va se passer dès les premières lignes, seulement il n'y a rien de plus insupportable que les textes avec une chute inattendue rien que pour le plaisir. L'inconnu aurait pu lâcher une grenade dégoupillée plutôt que des cigarettes, mais ça aurait fait moche dans le paysage (quoique rigolo).

Ah, et oui, le héros est lâche. Il n'est pas donné à tout le monde d'être un héros.