AVERTISSEMENT :
Le rapport suivant a été élaboré à partir des témoignages du principal témoin
de l’affaire, le condamné lui-même. Devant la subjectivité des informations à
notre disposition, ce rapport est donc d’une fiabilité toute relative, et ne
saurait avoir de valeur juridique.
Le garçon passe un coin de rue en courant, manque de
trébucher contre un tesson de vase qui traîne au sol. Il reprend son équilibre
de justesse, et, sans cesser sa course, passe l’arche qui marquait l’entrée de
l’artère principale de la ville.
Il court encore quelques instants,
esquive une charrette qui passe devant lui, et disparaît entre deux chevaux qui
passent. Il n’y a plus que le mouvement continuel de la foule, la poussière que
soulèvent les sabots des bêtes de somme, la fumée qui s’élève des cheminées et
qui s’efface graduellement dans l’atmosphère.
La journée touche à sa fin. La
lumière orangée de ces fins d’après-midi rase la ville, presque
horizontalement, entrecoupée par les hauteurs des toits. De longues lignes
s’étalent jusqu’aux murs. La poussière en mouvement donne corps à cette lumière
immobile, comme hésitant entre l’illusion de l’instant qui fuit, et la
certitude du temps immuable.
Deux gardes débouchent de la même rue que le garçon, en
courant eux aussi, l’air à la fois inquiet et furieux. Mais l’enfant a disparu.
Après quelques secondes de concertation, l’un des deux se dirige vers un homme
adossé à un mur. L’homme lui pointe une direction, et le garde reprend sa
lance, se remet à courir, tandis que l’autre fait demi-tour.
Le garçon n’est pas loin devant, et, pour être honnête, il
n’a pas l’air inquiet. Un passant remarquerait de toute évidence son jeune âge
– une dizaine d’années tout au plus. Il est n’est pas encore très grand,
d’ailleurs, mais cela ne saurait tarder.
En regardant mieux, un passant
verrait ses vêtements de qualité, ses cheveux châtain clair et légèrement
bouclés, et même une hétérochromie qui déséquilibre son visage d’enfant. Il a
un œil bleu, l’autre est d’un brun assez clair. Il regarde le monde d’un regard
profond, et Dieu seul sait ce qui se passe dans sa tête.
Il regarde autour de lui, cherche un chemin dans le
mouvement constant des véhicules autour de lui. La voie est libre jusqu’à un
atelier de potier, non loin, et juste derrière, une ruelle s’ouvre. Il n’y a
pas grand monde, personne n’ira le suivre là-bas.
A sa droite, des enfants de son âge
cessent de jouer, et le regardent d’un air vaguement antipathique. Le garde se
rapproche, regardant autour de lui. Il n’a pas encore repéré le garçon, mais
cela ne saurait tarder. Le garçon se remet en route sans hésiter. Il part dans
une direction, puis une autre, quelques secondes plus tard. Avec un peu de
chance, les enfants de tout à l’heure le dénonceront et mèneront le garde dans
la mauvaise direction.
Il s’arrête soudain. Devant lui, à quelques pas, se tient
quelqu’un. Quelque chose. A vrai dire, il ne sait pas exactement ce que c’est. Ce
n’est pas la première fois qu’il en voit, mais c’est la première fois qu’il
peut les détailler avec autant de précision.
C’est une silhouette à forme
humaine, qui semble porter un casque et une armure comme le garçon n’en a
jamais vus. Le casque est gris, noir et terne, et couvre l’intégralité de son
visage. Il n’y a pas de trous pour les yeux, simplement deux plaques d’une
couleur étrange, comme un miroir cuivré. Le reste de son armure est
relativement similaire, de cette matière étrange, qui n’est ni d’aucun métal
qu’il connaisse.
Mais ce qui fait véritablement
frissonner le garçon, c’est sa consistance.
La silhouette n’est pas complètement matérielle, on voit à moitié, à travers le
corps, les briques du mur juste derrière, légèrement déformées, mais visibles.
L’enfant en a déjà vu. Faute de
savoir ce que c’est, il les a appelés les hommes-ombres. Dans la rue, personne
ne semble leur prêter attention, et pour cette raison, il se doute que comme
d’habitude, il est le seul à les voir.
Les hommes-ombres existent depuis aussi loin que sa mémoire
peut l’amener. Il peut les voir depuis toujours, sans jamais en parler à
personne. A cinq ans, il se confie à sa nourrice. Elle s’inquiète, mais
incapable de les voir, celle-ci croit que l’enfant montre les premiers signes
de folie.
Il renonce donc à en parler. Inutile
de risquer son avenir entier par ce qu’il voit des silhouettes étranges. Elles
ne lui font aucun mal. Elles sont simplement là, de loin, à le regarder. Un
jour, une d’entre elle est apparue dans sa chambre, la nuit. Elle s’est
approchée de lui, la main tendue, comme pour lui dire quelque chose, puis a
disparu. Volatilisée dans les airs.
Il est rare, le reste du temps, que
ces apparitions soient aussi claires. Le plus souvent, elles semblent le
regarder de loin, à travers ce masque sans expression. Un jour, il voit une
ombre sur un toit, assise nonchalamment sur une cheminée. Un autre adossée au
rempart.
Le jeune enfant ne perd pas plus de temps à réfléchir. Entre
l’homme-ombre et le garde, il a vite choisi, et fait demi-tour, profitant du
passage d’une carriole à légumes pour s’y accrocher un instant. Le garde passe
à quelques mètres de lui, sans le voir.
L’homme-ombre, en revanche, se met à le suivre, à pas
tranquilles, comme s’il avait tout le temps du monde.
***
Le texte était un peu long, je le publie donc en deux fois. La suite dans quelques jours.
Il y a quelques erreurs de frappe dans le texte. Désolée, je fais un peu ma snobinarde, je chipote :S
RépondreSupprimerBref.
J'aime beaucoup ce que tu écris et c'est d'autant plus plaisant que la musique est complètement raccord avec le texte. Bravos :)