dimanche 8 août 2010

Avec le Vent comme Complice

Stella gisait allongée sur le lit. Sur la table de nuit, un verre vide, dont les dernières vapeurs s'évanouissaient dans l'air péniblement brassé par un ventilateur de plafond. Lorsqu'elle tenta de se lever, les marques violettes qui zébraient son dos la laissèrent pliée de souffrance.
La nuit n'avait effacé ni sa douleur ni sa peine. A peine avait-elle estompé l'impression de n'être plus rien. Stella se dirigea, en titubant un peu, vers le placard, saisissant en quelques gestes l'essentiel de ses possessions. Elle fut vite prête, et en refermant la porte, elle accepta sans regret l’idée d’abandonner cette vie où plus rien ne l’attendait. Elle s'aventura dans le couloir, caressant une marque claire sur son ventre -conséquence d'un coup un peu plus fort que les autres, qui lui avait arraché un futur qu'elle avait pourtant chéri.
Elle ignora les commérages qui s'élevaient des portes voisines, les regards voyeurs au travers du judas des portes en contreplaqué. Tous ces yeux monstrueux qui la dévisageaient avec réprobation avaient été témoins du drame de la veille. Pas un n’avait fait un geste. Elle descendit donc l'escalier, et se retrouva à la rue.
Elle marcha, valises à la main, jusqu’à une cabine téléphonique. L’appareil de la maison était coupé depuis longtemps.
-          Maman…

Pour ma part, je me morfondais dans mon véhicule depuis des heures, et passais le temps à écouter la radio, interrompue de temps à autre par les transmissions internes de la police. J’avais dû, après une vague dispute avec mon épouse, reprendre du service, et j’avais passé la nuit à attendre un appel à la radio qui se faisait toujours plus attendre, tandis que mes collègues bavardaient en profitant de la fraîcheur de l’air nocturne. J’aurais dû faire comme eux, mais voilà.
J’avais promis de rester à l’intérieur, de surveiller les transmissions, marquant ainsi mon envie de rester seul dans la voiture, et, laissé ainsi tranquille, je m’interrogeais.

Pour la première fois, je me disais que, peut être, ma vie avait raté un tournant. A plus de cinquante ans, je comprenais enfin qu’en trente ans de service, il était peut-être temps de recevoir une promotion.
Il me fallut un effort mental dantesque pour effleurer les raisons de ces échecs, et je ne pus qu’en conclure que seul le racisme d’une administration bornée m’avait interdit à un avenir brillant. Ma couleur de peau était en cause, bien entendu. Mon caractère soupe-au-lait, mon attitude lunatique, et mes multiples bavures, je ne voulais pas en entendre parler.
A vrai dire, ce soir-là, j’avais envie de sang. Ma dispute avec ma femme, cette nuit aussi déprimante que les autres, la prise de conscience de ma propre médiocrité, tout concordait à me donner des envies de violence.

Et telle une imprécation divine, le standard de la radio fit grésiller le poste. Je me jetai sur le combiné.

Je démarrai le moteur, appuyai d’un coup sec sur l’avertisseur. Mes coéquipiers se précipitèrent dans la voiture, et, tous phares dehors, le véhicule se jeta à l’assaut des routes.
-          On a un braquage de bijouterie rue Cardinet, expliquai-je en grillant un feu, faisant piler au passage une voiture qui tournait en face de nous.
Nous n’eûmes même pas l’occasion de nous arrêter. A notre arrivée, le braqueur sortit en courant et sauta sur un scooter. Mon pied explosa la pédale d’accélérateur, et la voiture bondit à la suite de l’engin. Le deux roues, plus habilité à la course dans un milieu urbain, se faufilait entre les voitures et gagnait peu à peu du terrain. Il me fallut jouer du pare-choc pour maintenir la distance, projetant de temps à autre une poubelle dans une vitrine ou forçant les voitures à me céder le passage.
-          Il prend la rue Detaille, si tu fais le tour, tu pourras le cueillir à l’angle, proposa mon voisin.
-          Je sais où je vais ! je répondis avec agressivité.
Néanmoins, je suivis ses conseils. Je déposai mes passagers arrière à une extrémité de la rue, et effectivement, j’arrivai à l’extrémité de la rue avant mon fuyard. Je retins le coéquipier resté avec moi, l’obligeant d’un geste de bras à rester derrière moi. Il m’appartenait, grognai-je, je l’avais attrapé moi-même.

Je saisis mon arme de service, prêt à en découdre. Ma proie était descendue de son scooter et l’avait laissé en plan, au milieu. Lui, il s’était prostré contre une voiture, attendant notre arrivée en tremblant. Il pointa un pistolet dans ma direction, me menaçant d’un bras hésitant, puis tira, un seul coup, qui éclata le pare brise d’une voiture loin de moi. Il serrait toujours contre lui le sac de sport contenant son butin : Des montres en or, une opale, ainsi que le contenu du tiroir caisse, qu’il était en train de vider à notre arrivée.
-          Rends-toi, tu es cerné, dit une voix derrière moi.
Lentement, il posa son arme dans le caniveau et leva les bras en l’air. Cela me fit sourire.

Une détonation retentit, et le braqueur tituba un instant. Il avait dans la poitrine un trou au travers duquel perçait la lueur du matin. Il ouvrit son sac, saisissant une poignée de billets et de bijoux qu'il jeta en l'air, au hasard, tituba un peu, puis s’effondra sur le sol, murmurant dans un souffle :
-          J’ai le vent comme complice...
Puis ne fut plus.


Lorsque Stella arriva au domicile parental, un paquet l’attendait. Un petit emballage de papier kraft, sur lequel était griffonné un simple prénom, le sien. Elle le déchira, et révéla une petite boite en velours bleu marine. Stella l’ouvrit, révélant une bague en argent surmonté d’un magnifique diamant, un bijou comme elle n’en avait jamais vu. Une petite carte à l’intérieur indiquait simplement :

Avec le vent comme complice, je t’aimerai toujours,
-Stanley.

1 commentaire:

  1. c est tres ... beau :)
    c est un style tres spécial
    (par contre, ds le dernier paragraphe, tu as mis "Elle le déchira, et révéla une petite boite en velours bleu marine. Stella l’ouvrit, révélant une bague" il y a 2fois révéler, tu devrais peut etre changer ca ;) )

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