samedi 11 septembre 2010

No Hard Feelings

            Je ne lui ai pas laissé le temps d’être en retard, et quand elle descendit de chez elle, j’étais déjà là, à l’attendre. Un bonjour, une bise gênée, et je l’emmène avec moi en la tirant par la manche. Sans lui laisser le temps de dire un mot.
Nous voilà à la terrasse d’un café. Bien qu’en face l’un de l’autre, nous nous fuyons du regard avec une pudeur adolescente. Les yeux sont le miroir de l’âme, et c’est peut être cela que nous fuyons. Je suis habité par la crainte qu’elle me regarde, qu’elle me comprenne, mais dans le même instant, tout au fond de moi, une voix que j’étouffe tant bien que mal hurle son envie d’ouvrir mes pensées à cette personne, de la laisser lire dans mon cœur ouvert, même pour cela, j’accepte de la laisser le briser à nouveau. Avec le tact d’un trente-trois tonnes et la délicatesse d’un accident de la route.
-         Qu’est-ce que tu deviens ?
J’essaie tant bien que mal de meubler une conversation, et d’ignorer qu’on s’est déjà tout dit… Et que ce que nous n’avons pas dit, ni elle ni moi ne voulons l’entendre.
-         J’ai ma rentrée dans quinze jours, et… voilà, quoi. Toi ?
-         Bah, pareil.
Un nouveau silence, interminable. Pitié, sortez-moi de là.
-         Je ne comprends pas que tu t’obstines à mettre une veste par ce froid.
-         Ma veste et moi, c’est une longue histoire d’amour, je réponds.
Lorsqu’enfin j’ose la regarder dans les yeux, mon regard est impassible. J’essaierais bien de lire son regard, mais elle aussi se défend, et nos regards sont froids et distants, comme barricadés derrière une montagne de détermination.
Je donnerais pourtant cher pour revoir, ne serait-ce qu’un instant, les regards qu’elle m’a adressés dans le passé, mais notre relation semble s’être déroulée dans une autre vie, tant nous sommes devenus deux étrangers.
-         Cigarette ?
C’est vrai, elle fume.
-          Ça ira, merci.
On nous sert enfin nos cafés, servi avec deux sucres et un bâton de cannelle, et je mâchonne le mien en regardant dehors, distraitement, alors que je laisse se libérer les arômes et les épices entre mes dents. Je sens soudainement son regard sur mon visage, et quand je me retourne, je la vois qui me dévisage tout en remuant son café avec sa cannelle.
-         C’est toi qui m’as donné cette habitude.
-         Non, moi je le mange, et toi tu le mâchonnes, ce qui fait qu’à la fin il te reste un bout tout dégueulasse dans ton café.
Un sourire, enfin. Les premières notes d’un morceau de jazz se font entendre derrière moi.
-         Tu viens souvent ici ? me demande-t-elle.
-         De temps en temps. Un peu moins, maintenant…
Je laisse ma phrase en suspens, mais je finis mentalement. « Maintenant que nous ne sommes plus ensemble. » Pourquoi suis-je incapable de parler de notre passé ensemble ? Pourquoi me sens-je obligé de prétendre que le temps passé ensemble n’est qu’une chimère, issue de mon imagination ?
            Je paye les cafés et nous sortons. Devant ce café, les mains dans les poches, les joues rouges, chaque souffle qu’elle exhale forme un petit nuage blanc qui se mêle au mien, qui s’envolent ensemble pendant un instant, puis qui disparaît dans les airs.
-         Bon, ben… à plus, dit-elle.

A plus ? Pour quoi faire ? Cette rencontre, je le sais, elle le sait, c’est la fin d’une histoire comme les autres, alors pourquoi agir comme si nous avions d’autres choses à nous dire ?
-         A plus.

Quel idiot.

Pour ***** (Elle se reconnaîtra). No hard feelings.
PS : Ne me traite pas de mythomane, je reconnais en avoir inventé une bonne partie, mais l’esprit est là.

PPS : J’étais parti sur un truc vachement plus rigolo, avec une histoire et tout, mais ça sonnait bien comme ça. Et puis j’avais envie d’écrire un texte sans histoire, juste pour voir.

5 commentaires:

  1. J'aime beaucoup la manière dont tu écris. C'est très agréable. :)

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  2. Je suis d'accord avec Grenouille, c'est très agréable de te lire.
    Je n'ai pas l'habitude de suivre les blogs écrits, mais le tien, je l'ajoute à mes Favoris tout de suite.

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  3. Merci infiniment!
    Pour ce qui est des blogs écrits, c'est une question d'habitude, j'en lisais assez peu et puis j'en ai trouvé des sympas quand j'ai commencé ce blog.

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  4. Très beau texte sur les moments passés avec toi. J'aime beaucoup ton écriture. Bonne continuation!

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