lundi 21 mars 2011

Une Nuit avec les Ombres

 Je vous mets en garde. Ce n’est pas votre texte habituel. C’est autre chose. C’est une réalité, racontée dans tout ce qu’elle peut avoir de crue ou de violente, sans concessions.

Je ne me souviens pas de tout.

Les tenants et les aboutissants de cette nuit d’horreur sont restés dans la brume, et c’est avec les parcelles ébréchées d’une mémoire inaboutie que je tente, tant bien que mal, de reconstituer mon tableau.

Ce dont je me souviens, en revanche, est resté gravé dans ma mémoire à tout jamais.

Je me souviens d’une nuit noire. Une nuit surnaturelle, sans lune, sans étoiles, sans lumière, sans vie.

Je me souviens de l’urgence. Une urgence incontrôlable, inexpliquée. Chacun de mes geste étaient, je me souviens, emprunts d’une nécessité absolue d’agir, sans quoi les conséquences seraient terribles.

Je me souviens d’avoir regardé à l’horizon, maintes fois. Je me souviens d’y avoir cherché, dans cette nuit sans espoir, les premières lueurs de l’aurore.
Je me souviens de les avoir cherchées, mais de ne jamais les avoir vues.

C’est un moment tragique que j’ai vécu, et depuis ce soir, chaque fois que je vois le soleil se coucher, je me demande si ce n’est pas le dernier.
Je ne déguiserai pas les atrocités que j’ai commises ce soir là, et si je dois passer pour un monstre, qu’il en soit ainsi.

Voilà pour le décor.

Je regardai l’horizon, toujours obstinément noir. Pour une raison que je ne m’expliquais pas, cela me rassurait.
Je tenais mon épée à la main, déjà ensanglantée, d’avoir dû frayer mon chemin dans le sang, celui d’un garde, à l’entrée de la colonie, qui avait cru bon de s’opposer à moi.

Je suis entré dans la colonie en promettant que mes intentions étaient bonnes. Il en était venu aux mains, m’avait fait perdre mon temps. Et mon temps était précieux. J’avais tiré ma lame, tranché sa gorge, puis passé à autre chose.
Ne croyez pas que tuer un innocent qui ne faisait que son devoir m’aie laissé indifférent. Mais l’urgence, toujours cette nécessité absolue m’avait fait agir, au plus vite, au plus simple sans perdre de temps. Quel qu’en soit le prix.

            Sa mort à lui, au moins, avait été rapide et sans douleur. Dans ces jours de chaos, dans la confusion de ces jours sans étoile, je m’étais découvert un nouveau pouvoir. Des éclairs jaillissant de mes mains, obéissant à ma seule volonté. Un pouvoir que j’avais assumé comme les autres, sans y faire plus attention. Dans le chaos qui régnait dans le monde, les catastrophes, les batailles entre des civils affamés, j’avais cessé de prêter attention à ce qui m’arrivait. Je n’étais plus à une bizarrerie près.

            Je cherchais, je crois, un médaillon. Je ne sais pas pourquoi cet objet revêtait une importance aussi primordiale, ni même ce que j’en ferais une fois en ma possession.
Mais cela n’a plus beaucoup d’importance.
On m’avait indiqué qu’il avait été enterré avec le corps d’une femme morte quelques années plus tôt, et que pour la trouver, je devrais m’adresser à quelqu’un de sa famille.

J’avais trouvé Yan, en train de parler avec des amis. Yan était jeune quand il avait perdu sa mère, et avait aujourd’hui guère plus de huit ans. Comme ses amis, il aborait une expression de sérieux et de maturité qui faisait peine à voir sur un enfant de son âge.
-          Yan !
Il tourna la tête vers moi, me reconnut. Ne me demandez pas, je ne sais pas comment. Il savait qui j’étais, et ce que je faisais ici.

-          Je sais ce que tu cherches. Mais il faudra te battre pour l’avoir. Je veux un duel.
Il sortit un couteau, qu’il pointa sur moi avec résolution, sans un mot de plus. Autour de nous, les autres nous regardaient, en rond, sans rien dire.
Nous nous regardâmes l'espace d'un instant. Je ne comprenais que trop bien l'attitude du gamin. Sa mère était enterrée là à quelques pas, et je savais que son geste n'était que l'expression d'un vague espoir de conserver à sa génitrice un semblant de dignité. Quel âge avait-il, au juste? Huit ans? Que savait-il des idées d'honneur, de survie, de dignité, de danger?

J'eus un regard vers l'horizon. Les ténèbres persistaient, j'avais encore une chance, mais pour autant, je n'avais pas le temps de me battre à la loyale, ni même d'argumenter.
Il ne m'en fallut guère pour dégainer une lame. A peine plus pour me glisser derrière lui, et poser la lame contre sa gorge. La résistance de Yan était risible.
-          Alors? Où est-elle?
- Ce n'est pas un duel! Respecte les...
Je l'interrompis en plaquant ma main sur sa bouche.
-          Tais toi. Tu ne sais pas ce que tu fais, ce que nous risquons tous. Par sa faute.
-          Je m'en fous! Je veux mon duel!

Je levai ma main libre, et serrai le poing. Une décharge d'énergie traversa mon corps et se déversa dans la terre. Des éclairs surgirent du sol, et saisirent les spectateurs, qui se roulèrent au sol en se tordant de douleur.

            Je crois qu'à ce moment-là, une larme a glissé de ma joue. Ou peut être que non, peut-être qu'à ce moment, je n'avais déjà plus rien d'humain, et que je pouvais torturer des innocents sans ressentir la moindre amertume.
-          Le voilà, ton duel.
L'un d'entre eux sombra dans l'inconscience.

Yan renonça enfin, et sans un mot, me désigna une tombe non loin, sur laquelle étaient gravés des mots qui m'étaient familiers. Je m'en approchai, ignorant les insultes du môme qui cherchait sans succès à provoquer ma colère. J'eus beau plisser les yeux, me concentrer, les lettres m'échappaient.

Je posai la main au sol et écoutai le grondement sourd de la terre sous ma paume. Je sentis, faiblement, six pieds sous mes pas, une pulsation très faible, comme les battements de coeur d'un mourant. J'étais tout près du but, et il ne me faudrait qu'un instant pour...

Alerté par un sens que je ne me connaissais pas, je levai la tête. Devant moi, une intense lumière rouge.
-          Ca commence déjà, dit le môme.
Je reconnus peu à peu, dans la lumière, une colonne de flammes, surmontée d'un dôme rougeoyant, très loin à l'horizon. J'abandonnai le médaillon. Il était trop tard, il n'y avait plus rien à faire.
-          C'est où, selon toi?
-          Paris, je suppose. Ne t'inquiète pas, la prochaine est pour nous.

Je sortis mon téléphone, voulus composer un numéro. Appeler ma famille, mes amis, leur dire toutes ces choses que j'avais négligées de leur dire quand il en était encore temps. Le téléphone sonna une première fois. Je regardai le lent développement de l'explosion au loin, perdis mon regard dans le ballet des flammes.

La tonalité du téléphone retentit une seconde fois dans le vide.

Mon intuition guida mon regard vers l’ouest, vers l’océan. La mer demeurait, docile et immobile, ce qui, plus que tout autre chose, m’indiquait que quelque chose allait se produire.

L’eau sembla d’abord se soulever de quelques pas, puis retomba. Il y eut un instant de calme.
Puis une forme s’éleva dans les airs, reconnaissable entre mille. Un missile M51 à tête nucléaire, lancée d'un sous-marin, dont la traînée lumineuse s’élevait, mètre après mètre, vers le firmament. A l’aide de mes jumelles, je voyais le monstre très distinctement. Je pouvais distinguer les détails de la carlingue, le numéro et le type de l’engin, malgré la nuit, malgré les ombres qui nous entouraient.

L’engin n’eut guère le temps de s’élever, et se désintégra en plein vol.

Me voilà à l’instant fatidique, le point de basculement de ce texte.
J’ai beaucoup redouté cette scène au moment de l’écrire, et j’aurais voulu pouvoir vous décrire, dans ses moindre détails, toute la beauté de cette fin du monde. J’aurais voulu vous décrire l’explosion du missile, étage par étage, le hurlement du métal de la carlingue déchiré par la pression interne. J’aurais voulu vous montrer cette colonne de lumière, le geyser d’eau en formation au moment où le souffle atteint le sol.
J’aurais voulu dire comme il était beau, ce spectacle, à la jonction des quatre éléments, eau, terre, air, feu, tous les quatre mêlés dans un maelström innommable, à quel point le chaos peut être salvateur, quand on n’attend plus rien de l’ordre.

Au centre de l’enfer originel, on put distinguer une lumière, intense, pâle et blanche, qui croissait sans sembler jamais s’arrêter, qui m’enveloppa peu à peu.

Puis le silence. Puis l'ordre, à nouveau.

8 commentaires:

  1. Désolé pour ce texte ainsi que le temps passé sans publier. Celui-ci m'a pris beaucoup de temps, et j'ai hésité pas loin d'une semaine avant de me décider à le mettre ici.

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  2. "Je tenais mon épée (...) ensanglantée, d’avoir dû frayer mon chemin dans le sang" ... oui ca me semble logique ;p elle aurait pu se frayer un chemin dans les tripes pour éviter les répétitions ton épée... ouais j'aime bien te faire chier avec ca je sais ^^

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  3. Pas mal, pas mal. Très bien écrit (comme d'habitude ^^), mais je trouve qu'il manque quelque chose... Tout s'enchaîne un peu vite, et le fait que le personnage principal ait des pouvoirs me laisse un peu sur ma faim (on pouvait s'en passer, je pense).

    Néanmoins, Good job !

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  4. @Niko: Ha oui, je l'ai pas vue. Moi qui ai horreur des tautologies, j'aurais dû m'en rendre compte, merci!

    @HDB: Merci! En fait, non, on pouvait pas faire autrement. C'est un rêve que j'ai fait il y a quinze jours, et qui m'a tellement marqué que j'ai essayé de le passer en texte... Je me suis contenté de lui donner un vague sens logique, mais comme tu le vois, ça reste super décousu. Chaque élément, si inutile qu'il puisse paraître, a donc son importance, tout simplement que c'est comme ça que je l'ai vécu.

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  5. Hello! Première fois que je prends le temps de me balader sur ton blog...
    Tu maîtrises la langue, et c'est vraiment agréable de te lire! C'est rythmé et équilibré comme style. Et j'ai parfois l'impression que tu écris certains passages pour les mettre en chansons (enfin ça ne tient qu'a moi :)
    Contente de pouvoir te lire. Keep up the good job ;)

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  6. Effectivement, il est difficile de raconter un rêve, cousu ou décousu. Mais je persiste à dire que, si ce n'était pas un rêve, il eu été plus sobre de ne pas balancer des éclairs sur les gens ^^ (après, c'est un rêve, et on est rarement sobre sur les effets spéciaux quand on rêve)

    Sinon, j'aime beaucoup les trois derniers paragraphes de fin, qui ont une dimension apocalyptique bien ficelée (on ne décrit pas mais on décrit quand même, le héros devient spectateur, etc...). Voilà voilà.

    Comme la demoiselle du dessus, je te dis bonne continuation !

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  7. @déborah: Merci, en plus ça me fait plaisir de te voir dans le coin! Pour ce qui est des chansons, je ne sais pas trop, mais c'est vrai qu'en général, quand je me relis (quand j'en ai le courage), je dis les phrases à voix haute ou dans ma tête pour qu'elles soient naturelles, qu'elles "chantent" à la lecture... Je sais pas si c'est pour ça.

    @HDB: C'est un procédé que j'ai un peu raté, mais que j'aime bien... Dans l'écriture, très souvent, on peut se permettre de dire plusieurs choses totalement contraires à la fois, c'est un procédé que j'aime beaucoup... Le célèbre "Demain, dès l'aube" de Hugo, par exemple.

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  8. J'ai comme l'impression que mon commentaire n'est pas passé (à moins que tu les modères et qu'ils ne soient pas publiés automatiquement) alors au cas où, je le réécris !
    Je disais donc que ce premier texte lu m'avait beaucoup plu. C'est fluide, rythmé, et tu nous plonge dans un univers qui t'appartient avec beaucoup de facilité.
    Bon en même temps, je ne suis pas le plus objectif des lecteurs étant donné que je suis toujours très attiré par le thème de l'apocalypse (ma santé mentale se porte bien, merci).
    Je reviendrai avec plaisir découvrir le reste en tout cas !

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