lundi 6 décembre 2010

Cinq Derniers Mètres


Cinq mètres avant la liberté. C’est si peu, après tout, une dizaine de pas, parcourus en un instant.
Pour moi, cinq mètres, c’est le bout du monde. C’est la distance qui me sépare du monde extérieur lorsque je suis dans la cour : Un grillage en fil de fer barbelé, un espace vide, un nouveau grillage. Une distance insignifiante que tous les jours je rêve de franchir enfin. Le bout du monde.
Cinq mètres.
Je mets un pied devant l’autre, dans un bruit de cliquetis, mes chaînes se traînent sur le béton. Des entraves fixées à mes pieds et mes poings, qui m’empêchent de marcher plus vite. C’est que cette distance, j’aimerais la faire en courant, tant je suis pressé d’en sortir, alors quand je marche, je fais des pas les plus grands possibles, j’allonge mon mouvement jusqu’à sentir la morsure du bracelet de métal qui enferre mes chevilles, et qui m’interdit de courir.
            Quatre mètres.
Le gardien regarde mon pas hâtif avec une pointe d’étonnement. Est-il pourtant si absurde que ça qu’à l’issue de dix ans d’emprisonnement, je ne tienne plus en place à l’idée d’être libre, au point d’en perdre toute dignité, au point de me comporter comme un chiot à l’heure de sa première sortie ? A quoi bon seulement m’attacher ? Dans quelques minutes, nulle chaîne, nulle menotte ne m’entravera plus.
            Trois mètres.
Au loin, devant moi, une porte donne vers la sortie. Le cadre est baigné dans une lumière blanche, et mes yeux, peu habitués à cette clarté, se plissent, sans parvenir à distinguer quoi que ce soit derrière la porte. Malgré tout, je ne doute pas de ce que je vais trouver derrière.
            Deux mètres.
Ma femme et ma fille, pour qui j’ai tout fait. Je me suis battu, j’ai tué pour qu’elles puissent vivre. Même si cela n'a servi à rien. Quand il ne me resta plus qu’elles, j’ai tout risqué, et tout perdu. Mais je sais qu’elles m’attendent, et j’espère qu’elles ne m’en voudront pas. Après tout, tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour elles.
            Un mètre.
Je passe la porte, une porte semblable à celle qu’on trouve dans un bateau, légèrement surélevée, blanche, dotée d’un hublot en son centre. Mes yeux s’habituent lentement à la clarté de l’éclairage de néon, et je peux distinguer un décor de blanc aseptisé, de ceux qu’on trouve dans une chambre d’hôpital.
Sauf que ce n’est pas une chambre d’hôpital.
Le gardien m’attache à une chaise, installe une aiguille dans mon avant-bras.
-         Avez-vous une dernière chose à déclarer ?
-         Non.
Je suis libre.

9 commentaires:

  1. Mes plus plates excuses à Niko, qui m'a fourni l'idée du texte (enfin, seulement le titre).

    J'ai copieusement massacré l'idée, alors que le texte était bien mieux quand il était dans ma tête.
    Pour me faire pardonner, je vous mets du Radiohead.

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  2. putain.
    c'est fort, pour de vrai, j'y ai cru, je me suis laissée avoir.

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  3. Merci beaucoup !! :)
    Dis, y a un problème, je viens de me rendre compte que je t'avais demandé en mariage (deux fois)... comment on fait ?

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  4. Tu vas devoir m'épouser, là. Deux fois.
    Je vois pas d'autre solution \o/

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  5. Pas mal du tout ! Je dois avouer que jusqu'au dernier paragraphe, c'est bluffant. Y'aurait sans doute des choses à raccorder au niveau des description intérieures du personnage, mais là je chipote ^^

    Non, vraiment très bien.

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  6. Bha la "chute" rattrape bien l'ensemble et y'a rien de honteux non plus hein, même si c'est clair que c'est pas ton texte le plus inspiré et que je n'ai pas eu le petit frisson que j'ai d'habitude en te lisant... mais bon je t'aime bien alors je te pardonne... mais uniquement parce que j'aime bien ta technique de rangement de chambre ;)

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  7. J'y ai cru jusqu'au bout, très bonne chute mais... c'est triste!!! Moi pas vouloir déprimer =(

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  8. ... Wow. Eh bien, clair et efficace. Je me suis laissé porté du début à la fin et je n'ai pas vu la chute venir. Et c'est très bien écrit, j'avais tout un univers visuel en tête au fur et à mesure que j'avançais dans le texte. Bravo buddy!

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  9. Woah! Il m'a tué ce texte, et c'est le cas de le dire.. Sorry pour les métaphores élaborées ;)
    En tout cas la chute est piquante, c'est un texte bien réussi!!

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