dimanche 9 janvier 2011

Un Pistolet Sur La Nuque

Je tremble, ma main hésite, griffonne, sur une feuille vierge, quelques lignes hésitantes. Je me relis.
- Si tu veux t’en sortir, il va falloir faire mieux que ça…
- Comment veux-tu que je me concentre dans des conditions pareilles ?
- Fais un effort.

Alors je reprends mon stylo. Mes mains moites laissent échapper, et le voilà qui glisse sur le sol.
- Pas d’entourloupe, dit la voix.
Je le ramasse, je réajuste ma feuille.
Se concentrer. Ne plus penser au canon du revolver posé sur ma nuque. Ne plus penser à cette balle, logée devant le percuteur, pleine de poudre, prête à exploser, et à se précipiter, en moins d’une seconde, d’un côté à l’autre de mon cerveau. Ne surtout, surtout pas penser à l’état de mon crâne, lorsque le projectile ressortira en éclaboussant ma feuille d’un mélange immonde de cervelle, de sang et d’os.
- Hé, réveille-toi, fait la voix.

Je commence à écrire, quelques mots, qui courent au hasard sur ma feuille. Je ne sais pas vraiment où cette histoire me mènera, j’espère juste qu’Il en sera satisfait.

Au bout d’une dizaine de lignes, je me retrouve dans une impasse. Les quelques mots que j’ai écrits, à la hâte, ne me mènent nulle part, c’est une impasse, un texte vide de sens. Alors je déchire ma feuille, la jette, puis je prends une grande inspiration.
Je prends conscience du fait qu’écrire, ce n’est pas seulement coucher des phrases sur une feuille. C’est prendre le temps de penser, de regarder le monde autour de soi, et de voir ce qui est digne d’être écrit, ce qui vaut la peine d’être romancé.

Sauf que là, je n’ai pas le temps. J’ai des partiels, des révisons, d’autres préoccupations. J’ai la flemme, aussi.
En temps normal, je serais sorti faire un tour. J’aurais marché dans la rue, regardé les gens, vu la vie continuer, la terre tourner. Je me serais assis dans l’herbe du Parc Monceau, bu un café, et j’aurais laissé vagabonder mes pensées jusqu’à ce qu’une me semble valoir la peine d’être retenue. Je serais rentré, et l’envie d’écrire aurait été plus forte que jamais, et j’aurais écrit une nouvelle, pas extraordinaire, mais une nouvelle quand même.
A écrire comme ça, ma tête à la merci du canon d’un revolver, j’ai l’impression de brader mon travail. J’ai l’impression que ce que j’écris ne vaut rien, par ce que je n’ai pas le temps de penser le monde, voir les choses, et les écrire. Je suis vissé à ce bureau, avec pour seule envie de finir ce texte le plus vite possible, pour que l’homme mystérieux me laisse enfin tranquille.

Je souris. La voilà, l’idée. Je vais écrire, parler de cet homme qui m’oblige à travailler, qui refuse de me laisser tranquille tant que je n’aurai pas écrit ce texte.

C’est cela, regarder le monde. Autour de moi, il y a une tasse de café qui refroidit, une tablette graphique, inutilisée depuis des mois, une statuette de Mickey, en train de faire un signe du bras qui ressemble furieusement à un salut hitlérien. Mais il y a aussi les obligations qui me lient au monde, mes partiels, mon groupe, mes projets, mes voyages, qui demandent une attention constante.

Et il y a un blog, que j’ai promis, des mois plus tôt, de mettre à jour une fois par semaine. Et quand je le regarde bien, ce blog, j’ai l’impression qu’il me pointe un pistolet sur la tempe, tous les dimanches après le déjeuner, pour qu’enfin j’attaque le texte de la semaine suivante, se moquant éperdument de mes partiels, de ma gueule de bois, des petites préoccupations de ma vie quotidienne.
Alors je cesse de m’angoisser, et j’écris une histoire, qui parle d’une voix, d’un pistolet sur ma tempe et d’un jeune qui essaie désespérément de chercher des idées qui ne viennent pas.

Je tends ma feuille, noircie de mes idées et de mes pensées. Ce n’est pas ce que j’ai fait de mieux, mais au moins, je n’ai pas triché. Je n’ai pas transigé, je n’ai pas recyclé de vieux textes, je n’ai pas cédé à la facilité. J’ai écrit une histoire, une vraie.

La voix saisit le texte avec un mouvement d’humeur, s’assoit sur mon lit, derrière le bureau, et lit avec attention.

Un sourire.
- Ça fera l’affaire.

7 commentaires:

  1. L'idée est intéressante, j'aime beaucoup. La mise en mots est très bien, également.

    En fait ce que j'aime le plus c'est côté "vrai" du texte !

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  2. J'aime particulièrement la façon dont tu termines ton texte. J'avais presque perdu la voix de vue et le fait de la faire intervenir à nouveau à la fin "boucle" bien le texte.

    (Si je puis me permettre, une petite faute d'inattention s'est glissée dans ton deuxième paragraphe : "à se précipiter")

    Merci pour ce texte!

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  3. Cela fait longtemps que je cherchais un moyen de mettre en scène cette confusion entre la réalité telle qu'elle est pour l'auteur et telle qu'elle est imaginée au moment de l'écriture...
    ...Et j'ai corrigé la faute.

    @sophie: C'est moi qui te remercie ;)

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  4. Belle fin ! Paisible ! Plaisante.

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  5. Ca arrive toujours à un moment ou un autre que l'auteur d'un blog avoue ne pas trop avoir d'inspiration pour le 'post' de la semaine... Eh bien toi, ça ne t'est toujours pas arrivé apparemment! :-)

    Je me suis senti très visé par le texte en tout cas (ayant 3 disserts à finir, que je devais rendre hier...)

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  6. Tu me connais, j'allais pas me contenter de dire "J'ai pas d'idées", ça aurait été trop facile.

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  7. C'est vrai qu'on se prend vite au texte. Bravo!

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