lundi 17 janvier 2011

A Fleur de Peau

J’avais ce pouvoir.
Sans savoir ni quand ni comment il était apparu, j’avais découvert cette faculté, qui résidait peut-être en moi depuis toujours.

            Un jour de colère, j’avais fait éclater une pierre en la touchant. Une pensée, un geste avaient suffi, et la pierre s’était désintégrée en millions de morceaux de poussière qui étaient restés suspendus en l’air pendant une quelques secondes avant de retomber au sol.
Je pouvais détruire n’importe qui, n’importe quoi, par un simple contact, par une simple pensée.

            Je tuai quelqu’un, pas plus tard que la semaine suivante, un garçon quelconque, pas plus pénible qu’un autre, juste présent au mauvais endroit au mauvais moment, qui avait fait la mauvaise blague à la mauvaise personne. Il avait suffi qu’il prononce quelques mots, un peu plus vexants que les autres, dans un couloir plein de monde, qu’il m’ insulte, au vu et au su de tous. Je me détournai, ravalant mes larmes, comme je le faisais à chaque fois, tentant de ne pas sentir sur mes épaules le regard des autres gens, qui au mieux, gardaient le silence, sans oser un geste, au pire riaient en coin.
Le garçon me rattrapa, me saisit par l’épaule, espérant sans doute voir les larmes dans mes yeux, signe incontestable de la réussite de sa cruelle blague.

C’en fut trop pour moi.
Incapable de contrôler ma fureur, je plaquai ma main sur son visage, et le garçon se désintégra en un instant.

            Le monde se figea en cet instant. Ce n’était pas l’effet de mon pouvoir, non, mais je me retrouvai seul, la main posée devant ce nuage de poussière, là où un instant plus tôt, se tenait un de mes camarades de classe. Tous, autour de moi, avaient vu la scène, et, choqués, me dévisageaient sans un mot.
Je partis en courant.

            Je passai la soirée à essayer de me convaincre que tout ceci n’était, au mieux, qu’un accident, au pire, de la légitime défense, mais il me fallut me rendre à l’évidence, d’une simplicité désarmante. J’avais commis un meurtre.

Dans la salle de bain, j’osais à peine me regarder dans le miroir, ignorant comment vivre avec ce crime sur les épaules.
Je posai mes mains sur mon propre visage. Il me suffisait d’une seule pensée, pour détruire mon corps en poussière, et annihiler toute trace de mon existence à jamais.  Je fus incapable de détruire une vie de plus, fut-elle la mienne. Renouveler ce crime, même contre moi-même, me faisait horreur.

            Le lendemain, je surmontai ma honte et allai en cours.
Autour de moi, les mêmes silhouettes que la veille me regardaient de travers. A chaque fois que je croisais un regard, l’expression que je lisais au fond des regards était toujours la même : La peur.
            Le poids de leurs regards, la crainte, la tristesse qui transparaissait dans chacun de leurs gestes m’accusait du meurtre. Tous portaient du noir ce matin-là, et me tournaient autour, sans oser m’approcher, comme une nuée de corbeaux.
Je crus que la police finirait par m’arrêter, que quelqu’un, au lycée, me dénoncerait. A chaque seconde de la journée, je regardais avec crainte la porte d’entrée de la salle de classe, redoutant de la voir s’ouvrir brutalement, laissant entrer deux officiers de police qui m’auraient emmené.

Il ne se passa rien.
Personne n’avait rien dit. De même que tous m’avaient vu, jour après jour, me faire insulter et humilier, quand je m’étais défendu, tous avaient fait semblant de regarder ailleurs, de crainte que je ne me venge contre celui qui me dénoncerait. Je savais malgré tout, que tous espéraient que l’un d’eux ne se sacrifie pour qu’on m’arrête.
            Mais personne n’eut le courage de faire ne serait-ce qu’un geste contre moi. Je rentrai à la maison, où j’attendis toute la soirée l’arrivée de la police.
Une journée passa, puis une autre. Il n’y eut personne.

J’étais tranquille, maintenant. Personne ne dirait jamais rien. Ils n’avaient rien dit quand j’étais la victime, maintenant que j’étais le bourreau, ils ne diraient rien non plus.
C’était la loi du silence.
Etant parti en vacances pendant une semaine pour fêter la fin de mes partiels, j'ai laissé les clés du blog à mon double maléfique.

5 commentaires:

  1. A nouveau j'aime particulièrement la chute.
    J'aurais peut-être remplacé certaines virgules par des points, mais le texte n'en reste pas moins dynamique et très agréable à lire.


    Bonnes vacances!

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  2. Premier article de blog lecture que je lis et j'aime beaucoup :)
    On a envie de connaitre la suite !

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  3. Merci beaucoup!

    @Daft: "On a envie de connaître la suite": Je prends ça comme un compliment!

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  4. Oui oui ! Prends le comme ça ! J'ai pas encore lu la suite de ton blog mais je vais le faire ! Mais j'espère bien trouver la suite de celle-ci en tout cas ;)

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  5. Magnifique, comme d'habitude. Des mots et un style qui me touche toujours au plus profond.

    Emialys

    PS : Premier commentaire sur ce blog que j'ai découvert grâce à Silver et Nine. Bonne continuation ! ;D

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