mardi 27 juillet 2010

Midi Quinze

       Une pièce, que la lumière du jour éclaire d'une clarté reposante.
      L'horloge indique midi dix, et je vais bientôt mourir. Nous avions l'habitude d'assassiner nos condamnés à l'aube. les vieilles traditions se perdent. Peu m'importe. La porte s'ouvre, un homme entre. Lui, je le connais. J'ai tué sa famille sous ses yeux, de mes mains. Il avait une femme, deux enfants, peut être plus.
      Je ne sais plus.
       Il me regarde, maintenant. Il a le regard sans haine de ces hommes qui n'ont plus rien. Un regard vide, sans vie.
      - Vous avez l'air aussi mort que moi.
      L'homme me regarde. Il ne sait peut être pas quoi dire. Il ouvre la bouche pour parler, hésite, la referme, ne dit rien. Il est midi onze maintenant. Puis il dit :
      - C'est vous qui m'avez tué.
      - Je sais.
      Il tient un revolver dans sa main. Je me souviens. Il y a deux ans, pendant une prise d'otage, dans un car de touristes qui venaient d'Abidjan. Je l'avais choisi car il y aurait des femmes et des enfants étrangers. Des innocents que personne ne voulait voir mourir.
       Pourquoi avais-je fait ça ?
      Pour l'argent, probablement. Ou pour survivre. La police étrangère me recherchait déjà, à l'époque, mais ils ne faisaient pas la loi dans nos villages. La loi, c'était moi. J'étais le chef de guerre, j'étais craint. Je commandais, de la pointe d'un revolver.
      Un modèle comme celui de l'homme qui me tuerait.
      Je me souviens surtout de son fils, le plus jeune. Je l'ai tué dans le car. Il était jeune, il ne comprenait pas, il se débattait. Alors je l'ai tué. Son père n'a rien dit, il s'est juste penché, et a fermé les yeux de son fils. Il ne pleurait même pas.
       L'homme me détache. Il sait que je ne fuirai pas, je n'ai nulle part où aller.
      Il est midi douze, maintenant. Et je vais bientôt mourir.
      J'ai probablement assassiné le reste de sa famille aussi. J'avais promis de tuer un otage tous les jours jusqu'à ce que je reçoive la rançon. Combien avais-je demandé ? Je ne sais plus.
      La rançon n'est pas venue. Alors j'en ai tué un, au hasard, dans la foule. Le lendemain, un autre est mort. Pendant un mois, je tuais un homme tous les jours. Avant le petit-déjeuner, comme on prend un médicament.
       L'homme est adossé contre la porte. Il ne veut toujours rien dire. L'horloge indique midi treize.
      Un jour, il n'est resté personne d'autre que lui. Alors je l'ai pris avec moi, je l'ai attaché, et je suis parti. Je me suis enfui, et l'homme est parti avec moi, comme monnaie d'échange. Je me suis caché avec lui pendant un mois, puis je l'ai abandonné. Il ne servait à rien. Personne n'aurait payé pour lui.
      - On m'a laissé le droit de vous tuer. Compte tenu des circonstances, ont-ils dit. Mais ils ne me font pas confiance.
      Je le regarde sans comprendre. Il précise:
      - Il n'y a qu'une seule balle dans le revolver.
      Je regarde l'horloge. Il est midi quatorze. J'ai envie de parler.
      
      - Vous ne pourrez pas me tuer, pour la même raison que je n'ai pas pu vous tuer. Je suis déjà mort. Tout comme vous.
      - Il ne me reste qu'à finir le travail, alors.
      Il pointe l'arme sur moi.
      
      Il est midi quinze, et je suis déjà mort.

2 commentaires:

  1. Un exercice de style, j'avais envie de travailler hors de ce que j'écris habituellement.

    Je voulais faire un texte minimaliste, avec le moins de mots possible, le moins de vocabulaire.

    Je suis ouvert à tout commentaire, bien sûr.

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  2. Ce texte est beau et terrible à la fois. Il y a cette fatalité qui semble aller grandissante pour atteindre son apogée dans la dernière phrase. Un peu comme l'Atigone d'Anouillh, le Choeur nous dit qu'elle va mourir, qu'elle veut mourir, on connaît le dénouement fatal de l'histoire mais on ne peut s'empêcher de vouloir que la situation change. Pourtant tout nous mène à l'issue terrible. Et on s'arrête sur le point final avec une boule au ventre parce qu'on a su ce qu'il allait se passer mais que l'on n'a rien pu faire pour changer ça. C'est magnifique. Bon je dois paraître peu cohérente mais ce sont mes impressions sur le moment.

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