samedi 17 juillet 2010

Une Histoire Vraie

       Le téléphone ne tarda pas à sonner. Un passant, probablement imbibé de whisky frelaté, avait voulu profiter d'une ruelle pour calmer sa vessie, et avait trouvé le corps, et avait titubé jusqu'au dernier bar ouvert où il avait prévenu la police.       Je me rendis sur les lieux sans trop me presser. Je garai la voiture, et m'approchai de la scène du drame en pestant contre l'eau du caniveau qui s'infiltrait dans mes bottes. Il y avait bien un mort dans la rue, gisant sur le dos, les bras écartés, ruisselant d'eau de pluie. La personne qui avait appelé était partie, mais à vrai dire je m'en moquais bien. Pas de papiers dans les poches du cadavre, rien qui permette de l'identifier.
      
      
       On était vendredi soir, et la plupart des ouvriers qui venaient boire dans ce quartier paumé avaient vidé les lieux depuis des heures. Les bars fermaient l'un après l'autre, le temps de ranger les chaises et de fumer une dernière cigarette.
      Seule la lumière blanche des lampadaires et celle, rouge et bleue, des avertisseurs lumineux de mon véhicule, se reflétaient sur les murs trempés.
      M'étant assuré que personne ne rôdait, je résolus d'attendre la venue du médecin légiste dans la voiture. Le cadavre n'allait pas s'envoler. De la vitre de ma portière, je guettais l'arrivée de celui qui me permettrait enfin d'aller me coucher. Je ne vis qu'une fenêtre allumée et ouverte en dépit des torrents de pluie qui se déversaient à l'intérieur. Sur les rideaux trempés, se dessinait une grosse silhouette noire, comme une ombre chinoise, qui se dandinait sur un siège. Ouvrant la fenêtre, je distinguai le son d'un piano, quelques notes rythmées, le bruit étouffé d'une trompette en sourdine. Certains ne dorment donc jamais ? Je laissai la vitre entrouverte afin de profiter de cet accompagnement inattendu, et je me sentis m'endormir doucement.
      - Bonsoir, Sergent.
      Je sursautai. A l'extérieur de la voiture se tenait le médecin, en pyjama sous son imperméable gris, à peine à l'abri des intempéries sous son chapeau.
      - Montrez-moi où il est, qu'on en finisse, dit-il.
      Peinant à reprendre mes esprits, je désignai la ruelle.
      - J'arrive.
      Le médecin partit en râlant. Lorsque je fus un peu mieux éveillé, je rejoins l'homme qui s'affairait sous la pluie. Il prit son pouls, vérifia ses yeux, lui fit un test d'alcoolémie. Il saisit enfin sa sacoche de médecin, et retourna se mettre à l'abri sans la voiture. Depuis le siège du conducteur, il gribouilla trois mots sur un morceau de papier qu'il me tendit. Incapable de déchiffrer l'écriture, j'osai lui demander la cause de la mort.
      - C'est pourtant évident, non ? Même vous, vous pourriez le deviner. cracha-t-il. Attaque cardiaque. Je vais me coucher maintenant, bonne nuit à vous.
      Et sans attendre de réponse, il sortit de la voiture.
      
      Je restais seul, ma nuit à moi n'était pas terminée. Un sac à viande dans mon coffre me permettrait d'amener le corps à la morgue. Si personne ne déclarait de disparition d'ici une semaine, le corps serait enterré sous une petite croix nommée « John Doe » et l'histoire en resterait là.
    
      J'étendis le sac sur le sol afin de faire rouler le mort, dévoilant alors six entailles, faites au couteau, qui lacérait le dos de la victime. Puis je refermai les boutons qui fermaient le sac, et soulevai le corps sur mes épaules, éprouvant une vague compassion. La cause du décès était évidente en effet. Mais personne n'en saurait jamais rien.

***

C'est une histoire presque vraie, inspiré d'un fait divers qui s'est passé, si mes estimations sont bonnes, dans les années 30.
J'ai essayé (sans grand succès malheureusement) de recréer un ressenti mêlant la prohibition, l'aspect "film noir", le jazz et l'Amérique de cette époque.

J'ai fait un clin d'oeil à mon jazzman préféré, j'ai nommé Fats Waller, dont voici un extrait: [link]

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