mercredi 21 juillet 2010

Une Histoire d'Amour

Je suis seul, accoudé au zinc du bar d'un hôtel luxueux. La personne qui m'accompagne m'a déjà fait faux bond. Nous ne sommes pas ici depuis une heure, que la voilà déjà en train de susurrer des compliments à l'oreille d'une créature de rêve. Voilà qui me laisse seul pour me lamenter dans ma bière. J'aurais mieux fait de rester chez moi, comme toujours. 
Adossé au comptoir, je me prends à envier les couples qui passent devant moi. Tous ont l'air heureux, et ceux qui ne le sont pas semblent passablement éméchés. Ce qui est mieux que rien. Mes doigts torturent distraitement le sous-verre, tandis que mon regard erre de groupe en groupe. Près de l'entrée, deux jeunes, un vingtaine d'années se tiennent par la taille. Pour eux, la soirée ne fait que commencer. L'un deux est un genre de golden-boy au look de jeune cadre dynamique. Son costard est fait sur mesure, sa chemise immaculée est ouverte jusqu'au nombril, une petite chaîne en or. Sa compagne du moment est une grande blonde, sa couleur de cheveux est aussi fausse que le sac qu'elle porte à son bras. Elle passe son temps à faire semblant de trébucher, ridicule prétexte pour pouvoir s'accrocher à son bras.
Je soupire. Je rentrerais bien chez moi, mais qu'y faire? Alors je me retourne vers le bar, et je commande un nouveau verre, que je paye distraitement. 
Ne penser à rien. De toutes façons, je sais bien comment cette nuit se finira. Cecillia reviendra vers moi, passablement éméchée, peut-être avec sa conquête de la soirée, et me demandera de la raccompagner chez elle. Ce que je ferai de bonne grâce. Cecillia l'italienne, ma meilleure amie. 
A ma droite, un mouvement. Quelqu'un s'assoit au bar, sur le tabouret juste à ma droite. Je bois mon verre lentement, le regard perdu dans les volutes que font l'eau des glaçons se mêlant à la vodka. Cette vision a quelque chose d'hypnotique, je passerais bien la soirée, perdu quelque part entre mes pensées et la liqueur cristalline qui s'écoule dans ma gorge. L'alcool me fait frissonner,  alors que je réajuste ma position sur mon siège, une douleur se rappelle à mon bon souvenir. Une côte cassée.
Soudain, les volutes dans mon verre semblent prendre forme, et je vois un visage connu apparaître dans les circonvolutions. Ricanant avec un sourire cruel.
Aïe.

La pointe du pied de l'homme vient cogner mon estomac. Un deuxième vient percuter ma mâchoire. Je gémis de douleur, je me retourne, dans l'espoir que mes assaillants se lasseront de me faire souffrir. Je crache, à même le béton, ma salive mêlée à du sang. Et une dent. Peine perdue. L'un d'entre eux me retourne sur le dos, saisit mon col, visqueux de morve, de salive et de sang. Il approche son visage de moi, et me regarde avec un sourire sadique. Il a d'immenses yeux bleus, le crâne rasé. Pas de tatouage, pas de piercing. Un look impeccablement soigné.
- Ça te plaît, pervers?
Je ne réponds pas. Pas par courage, non, simplement par ce que cela ne sert à rien. Quoi que je dise, ils me frapperont. Alors je me tais.
Peine perdue, un nouveau coup de talon percute mon thorax. Plus question de me retenir, je hurle maintenant de douleur.
- Ta gueule! Je t'ai dit de la fermer!
Un nouveau coup semble m'exploser le foie, suivi par un autre. Ma vue se brouille. 


Je frissonne rien qu'en repensant à ces souvenirs. Je finis mon verre, cul-sec, puis décide de sortir fumer une cigarette. Mon sac est au pied de mon tabouret, mais la sangle est prise dans le siège à côté. Je tire un coup dessus, avant de me rendre compte que le poids de quelqu'un empêche la sangle de se dégager. Je lève la tête, pour demander à mon voisin de soulever son tabouret.

Nos regards se croisent, et en cet instant, ma vie change. J'ai l'impression de faire une chute de dix mètres. La tête légèrement penchée sur le côté, ses yeux gris me regardent sans antipathie, un léger sourire étire ses lèvres.
Je me sens fondre.
J'en oublie pourquoi je suis accroupi au sol.
J'attrape mon sac, et mon voisin me tend la main, m'aide à me relever. Nous nous regardons, l'un en face de l'autre, sans un mot, pendant d'interminables secondes. Je suis incapable de dire un mot, de faire un geste. La main crispée sur mon sac, je reste silencieux, et quand je me rends enfin compte du ridicule de la situation, je me détourne sans un mot et sors de la salle.

A l'extérieur, la nuit est tombée depuis longtemps. Les voitures passent à toute vitesse dans la rue, face à moi, laissant des traces de lumière rouge et noire dans cette nuit noire. J'allume une cigarette. La lueur de la braise est à peine visible, et mon visage est éclairé pendant une brève fraction de seconde quand j'aspire la fumée. Je souffle, et devant moi une nouvelle forme se dessine dans les courbes blanches qui s'élèvent de ma main.


Pitié...
Allongé sur le sol, à demi inconscient, c'est le seul mot que je suis en mesure d'articuler. Pourtant mes assaillants ne me frappent plus. Ils sont hors de ma vue, je ne sais pas ce qui se passe. Je n'ai même pas la force de bouger la tête. J'entends des exclamations, des clameurs. On se bat derrière moi.
J'entends mon agresseur hurler:
- Je t'aurai, salopard! Je te jure, Je t'aurai, et si je ne suis pas là, mes frères s'en occuperont!
Il s'interrompt dans un cri de douleur. Je tente de me retourner pour comprendre ce qui se passe, mais en vain. Une silhouette floue se dessine dans la lumière.
Pitié...
- Courage mon gars, c'est presque fini maintenant. Tiens bon. On va te sortir de là.
La silhouette se penche vers moi, saisit ma tête ensanglantée dans ses mains, et approche son visage, tout près. J'arrive à sentir son parfum, ses cheveux caressent ma joue, ses boucles d'oreilles reflètent la lumière du jour.
Derrière moi, j'entends un nouveau cri. Ma sauveuse jette un coup d'œil derrière moi, le regard parfaitement neutre. Je tente de bouger, mais la femme me retient, plus fermement cette fois. Dans mon dos, les clameurs d'un combat continuent. Je ne vois rien, mais je devine ce qui se passe. Elle me dit doucement, en me regardant droit dans les yeux, afin de m'empêcher de bouger:
- Je m'appelle Cecillia. Avec deux L.
Au loin, une sirène d'ambulance retentit.

- Ça va?
J'émerge de ma contemplation. Je me rends compte que je suis prostré, assis contre le mur, à même le sol du trottoir, les yeux embués de larmes. Je relève la tête. C'est mon voisin de tout à l'heure. Je tente un sourire peu convaincu, qui se transforme vite en grimace alors que je me relève. Il me tend, une fois de plus, une main amicale, et je me relève.
- Tu faisais une sale tête en sortant, je me suis inquiété. Non, merci, je ne fume pas, ajoute-t-il en refusant la cigarette que je lui propose. A propos, précise-t-il, je m'appelle Rémi.
- Thomas.

La conversation s'engage. Je finis ma cigarette, le cœur léger, et nous rentrons tranquillement. Assis sur un canapé, nous buvons, discutons gaiement. Comme de vieux amis. Il y a des gens que l'on a l'impression de connaître depuis toujours, Rémi est du nombre. A une autre table, quelqu'un me fait signe. Cecillia. Elle me regarde avec un immense sourire, et semble immensément contente que je passe une bonne soirée.
Car je passe une bonne soirée, la meilleure de ma vie. Avec lui, je me sens invincible, inaccessible. Je tourne ma tête vers celle de Rémi, qui plonge ses yeux dans les miens. J'approche mes lèvres doucement...

Il détourne la tête.
- Pas tout de suite. Pardonne-moi, je suis un peu vieux jeu.
- Excuse-moi, je n'aurais pas dû.
Un silence un peu gêné s'installe. Nous ne disons rien. Puis, contre toute attente, Rémi éclate de rire.
- Si tu voyais ton air de chien battu! C'est pas grave, je te dis.
Je souris, à moitié rassuré. Pour donner le change, je propose d'aller chercher un verre.
Au bar, je prends deux bières, je me retourne en direction de Rémi en attendant que le barman les ouvre. Il est au téléphone, il me regarde avec un grand sourire, tandis que je reviens dans sa direction. Il prend une bière, nous trinquons, les yeux dans les yeux.

- Pas de problème, je vais lui demander tout de suite. Je dois te laisser maintenant, on se voit peut-être tout à l'heure. 
Il prend une gorgée de bière, essuyant d'un geste délicat de ses doigts l'humidité qui s'est déposée sur ses lèvres.

- Un ami à moi fait une petite soirée, ça te tente qu'on y passe tout à l'heure? 
Je suis d'accord, bien entendu. Nous emportons nos bières, tandis que je m'écarte pour payer au comptoir. Resté seul, Rémi sort son téléphone. Je suis au bar, le bruit des conversations m'empêche d'entendre sa conversation.

- Allô, Anders? C'est Rémi. Je le tiens, je vous l'amène tout à l'heure. Non, il ne se doute de rien. Prépare les lieux en m'attendant. 

Je me retourne. Nous sommes prêts à partir, maintenant. Il me regarde de ce sourire qui me fait fondre, mon cœur se soulève, je me sens léger. Léger et, pour la première fois depuis longtemps, je suis heureux.

Un texte qui m'a été demandé pour la Journée Mondiale contre l'Homophobie et d'abord publiée sur ma page Deviantart.

7 commentaires:

  1. il y a certains passage que je n'ai pas très bien compris (si au moment de boire sa bière tout seul il s'est déjà fait tabassé) mais en tout cas j'ai lu toute tes notes et je dois avouer que je t'envie beaucoup! tu arrive bien a créer une atmosphère dans tes textes, ça me donne même envie de me remettre à lire des livres ^^

    bonne continuation surtout!!

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  2. Merci beaucoup! (tu as tout lu? wahou!)

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  3. C'est triste...
    Juste triste.
    Se trahir ainsi, ça donne envie de pleurer, je trouve...

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  4. je pleurs ..
    j etais à fond dans l'ambiance là..
    mais enfait Link3r, tu es depressif? tu t'es senti trahi le jour où tu as écrit ca? ... en tout cas, c est superbe .. mais triste
    mais superbe quand meme
    (par contre, juste pr etre sure : il se fait tabasser avant ou apres la rencontre avec Remi?)

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  5. En fait, c'est un texte que j'avais écrit pour la journée mondiale contre l'homophobie, mais j'en suis pas vraiment satisfait, résultat je l'ai gardé dans un coin.
    Dépressif? Non. Enfin, oui, mais pas dans ce texte ^^

    (Il se fait tabasser avant, c'est là qu'il rencontre Cecilia)

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  6. Je suis tombé sur ton blog par hasard (lien depuis le blog de silver) et c'est juste wahooou =D
    J'adore ta façon d'écrire, vraiment!! Très beau texte, il y a une suite?!
    Bonne continuation pour ton blog,je reviendrais souvent!! ;)

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